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"Safari humain" pour touristes en mal d’exotisme

 Une femme noire poussée à danser nue pour quelques biscuits. Il ne s’agit pas d’un film sur les heures sombres de la colonisation. Cette scène a bien eu lieu dans une île de l’archipel indien d’Andaman, dans le golfe du Bengale.  

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Une femme noire poussée à danser nue pour quelques biscuits. Il ne s’agit pas d’un film sur les heures sombres de la colonisation, cette scène a bien eu lieu dans une île de l’archipel indien d’Andaman, dans le golfe du Bengale.

 

La scène est particulièrement révoltante. Après avoir reçu à manger de la part d’un groupe de touristes, plusieurs membres de la tribu des Jarawa, vêtus de pagnes traditionnels, dansent devant leur véhicule. On entend "Danse ! Allez, danse pour moi ! Maintenant ! " Une jeune femme, nue, reste à l’écart en tenant un sachet de nourriture à la main jusqu’à ce qu’une voix venant du groupe de voyageurs lui intime l’ordre de rejoindre les autres dans leur danse. Celle-ci semble refuser. Après quelques secondes, la voiture s’éloigne.

 

ATTENTION CES IMAGES PEUVENT CHOQUER

 

La vidéo a été récupérée par Gethin Chamberlain, photojournaliste pour The Observer, et postée sur YouTube en milieu de semaine. Non datée, elle pourrait toutefois dater de trois ou quatre ans. La police indienne a, à la suite de la diffusion de ces images, lancé un mandat d’arrêt contre le guide qui accompagnait ce groupe de touristes.

 

L’organisation de défense des droits des peuples indigènes Survival International, qui se bat depuis le début des années 1990 pour que les Jarawa bénéficient d’une protection de la part des autorités indiennes, a qualifié cette vidéo de "safari humain ".

 

Selon les spécialistes, les ancêtres des Jarawa, tribu de type négroïde, auraient fait partie des premières migrations humaines parties d’Afrique. Ce peuple qui vit essentiellement de chasse et de pêche est sorti pour la première fois de la forêt en 1998 pour aller à la rencontre de villages alentours.

 

"Fermer la route qui passe au milieu de la réserve des Jarawa serait un début de solution"

Pankaj Sekhsaria est un chercheur dans le domaine de la préservation de l’environnement à Pune, dans l’État du Maharashtra, dans l’ouest de l’Inde. Il est spécialiste de la réserve des Jarawa.

 

Évidemment que cette vidéo est choquante. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Ce genre de chose a lieu régulièrement et continuera à se produire. Les vrais responsables ce sont les autorités locales qui n’ont pas fait appliquer la décision de la Cour suprême indienne de mai 2002 qui ordonnait la fermeture de la route Andaman Trunk (ATR). Et tant que la fermeture de cette route ne sera pas respectée, des touristes viendront pour regarder et prendre en photos les membres de la tribu…

 

"Les Jarawa ont pris l’habitude de venir demander de la nourriture aux personnes de passage"

 

Les Jarawa ont longtemps effrayé les nouveaux arrivants et notamment les colons [les premiers colons britanniques sont arrivés en 1858 dans l’archipel] ce qui leur a permis de rester pendant un certain temps isolés. La tribu a ensuite été reconnue 'groupe tribal primitif' par le gouvernement indien qui leur a réservé une forêt de 765 km2 interdite d’entrée aux non tribaux. Mais à la fin du XXe siècle, tout a changé, notamment avec la construction de l'ATR [une grande route qui traverse quatre îles de l’archipel sur 340 km, dont l’île qui abrite la réserve des Jarawa]. Et, avec le développement du tourisme, les Jarawa ont pris l’habitude de venir demander de la nourriture aux personnes de passage. Mais l’attitude des touristes est inacceptable. Ce peuple-ci n’est absolument pas en manque de nourriture. Ils sont environ 200 et, même si l’écosystème de la forêt a été abîmé par la construction de la route, ils ont largement de quoi chasser et pêcher. Le problème, c’est que des personnes sur place ont commencé à les manipuler pour les faire sortir sur la route afin que les touristes puissent les apercevoir et maintenant, c’est devenu une habitude pour eux [le tourisme 'Jarawa' est devenu une des principales attractions de l’île. Pour une centaine d’euros, plusieurs compagnies locales proposent aux touristes de les emmener dans les zones où ils sont susceptibles de voir les Jarawa malgré l’interdiction. Survival International accuse par ailleurs des policiers chargés de la sécurité de la route de recevoir des pots-de-vin pour autoriser les touristes à s’approcher de la tribu].

 

Le contact avec des personnes extérieures a aussi des conséquences sanitaires désastreuses, car les Jarawa ne sont pas immunisés contre les maladies amenées par les touristes. En 1999, pour la première fois, une épidémie de rubéole a été signalée au sein de la communauté. Des maladies qui peuvent être extrêmement destructrices pour une population aussi limitée. L’autre conséquence de cette route, c’est que les personnes qui y passent, les routiers, les services de maintenance, les touristes et les policiers ont fait découvrir aux indigènes certaines pratiques modernes, comme mâcher du tabac ou boire de l’alcool.

Fermer effectivement la route qui traverse la réserve du Nord au Sud serait un début de solution pour éviter ces dérives. D’autant qu’elle n’est pas beaucoup utilisée par les habitants de l’île qui vivent sur la côte et utilisent la route côtière."