FRANCE

Retour à l’errance pour les expulsés ivoiriens de la Courneuve, en banlieue parisienne

 Leur campement de fortune, installé au pied d’une cité de la Courneuve à côté de Paris, aura résisté six mois. Le 7 novembre, des dizaines de familles originaires de Côte d’Ivoire, qui avaient élu domicile sur le bitume, ont été délogées manu militari sur décision de justice. Après leur expulsion, deux Observateurs témoignent.  

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Leur campement de fortune, installé au pied d’une cité de la Courneuve à côté de Paris, aura résisté six mois. Le 7 novembre, des dizaines de familles originaires de Côte d’Ivoire, qui avaient élu domicile sur le bitume, ont été délogées manu militari sur décision de justice. Après leur expulsion, deux Observateurs témoignent.

 

Le 8 juillet 2010, une quarantaine de familles se fait expulser de la barre Balzac. Arrivées de Côte d’Ivoire il y a quelques années, elles occupaient des appartements vidés de leurs habitants, dans une barre d’immeubles en passe d’être démolie. Ces logements leur étaient loués, illégallement, par les trafiquants de drogue qui contrôlaient les immeubles.

 

Les familles expulsées décident alors de s’installer sous des tentes au pied de l’immeuble, mais elles sont délogées quelques jours plus tard. Soutenues par l’association Droit au Logement (DAL), elles obtiennent d’être hébergées dans des hôtels jusqu’au printemps suivant. Mais en avril 2011, la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) cesse de payer les chambres. Les familles installent donc un nouveau campement place de la Fraternité, au cœur du quartier des 4000, où est située la barre Balzac.

 

Les policiers évacuent la place de la Fraternité lundi 7 novembre. Vidéo publiée sur le blog La Cause du peuple

 

Les mois suivants, vingt-deux familles parviennent à obtenir un logement mais près de soixantes adultes et une trentaine d’enfants continuent de vivre dehors, dans l’espoir que les pouvoirs publics trouvent une solution. La mairie estime qu’elle n’a pas de "pouvoir d’attribution de logements" et en appelle à "la responsabilité de l’État". De son côté, la préfecture de Bobigny explique qu’elle ne peut traiter en priorité le dossier des expulsés ivoiriens, alors que de nombreuses familles de la Courneuve attendent un logement depuis plusieurs années.

 

La situation perdure jusqu’au début du mois, quand le tribunal administratif de Montreuil, saisi par la ville de la Courneuve, ordonne aux familles de quitter les lieux. Lundi, la police est intervenue pour faire place nette : après des vérifications d'identité et quelques interpellations, une quarantaine d’adultes ont été conduits, avec leurs enfants, dans des hébergements d’urgence. Les occupants absents lors de l’évacuation se sont rassemblés hier soir près de leur ancien campement pour s’organiser.

"J’ai demandé si je pouvais récupérer mes affaires. Mais ils ont tout jeté"

Massandjé a 26 ans et campait sur la place avec son mari depuis six mois. Elle est standardiste dans un centre de formation du 20e arrondissement de Paris.

 

Quand je suis arrivée au travail, ma cousine m’a appelée pour me dire que la police était là. Je suis revenue sur le campement. Il était presque 10h et les policiers encerclaient nos tentes. Je leur ai demandé si je pouvais récupérer mes affaires mais ils ont refusé. Ils ont tout jeté. Mon mari et moi n’avons plus rien.

 

Ce que nous demandons, c’est d’être relogés. Tant que les autorités ne trouveront pas de solution, nous reviendrons camper ici. Comme les autres familles, je n’ai nulle part où aller. Mais ce que je redoute le plus, c’est que mon mari, qui n’a pas de papiers, soit expulsé. En vivant dans la rue, il peut se faire arrêter à tout instant.

 

"Ils proposent des chambres d’hôtel à ceux qui ont des papiers. Mais je sais que ça ne durera que le temps de l’hiver"

 

Je suis arrivée en France en 2000 car j’ai bénéficié du regroupement familial [cette procédure permet aux étrangers installés en France d'être rejoints par les membres de leur famille proche]. J’ai été à l’école et j’ai grandi ici. En 2009, je suis venue habiter un petit appartement de la tour Balzac avec mon mari, ma cousine et son ami. Nous avons toujours payé notre loyer. Avant de rentrer dans l’appartement, notre bailleur nous a demandé 900 euros. Puis, nous payions 450 euros la semaine [La mairie de la ville évoque "des individus sans scrupules" qui ont organisé "le squat de certains logements vides, en échange de sommes d’argent importantes."]

 

Depuis que nous avons été délogés de la barre Balzac, j’ai fait plusieurs demandes de relogement. Aucune n’a abouti. Aujourd’hui, ils proposent à certains, principalement à ceux qui ont des papiers, des chambres d’hôtel. Mais je sais que cela ne durera que le temps de l’hiver et après, nous serons à nouveau mis dehors."

 

 

"Maintenant, nous avons notre sac de couchage sur le dos et nous improvisons"

Soumahoro Sindou, 38 ans, travaille comme agent de sécurité et sa conjointe est femme de ménage. Après avoir loué un appartement de la barre Balzac pour 645 euros mensuels, le couple et leurs deux enfants ont vécu sous une tente durant six mois.

 

Après l’évacuation du campement, trois bus nous attendaient. Avec ma femme et mes enfants, nous sommes montés dans celui qui partait pour Longjumeau [ville au sud-ouest de Paris]. Là, on nous a dit qu’un hébergement d’urgence était disponible pour une semaine : une chambre dans un hôtel. J’ai refusé, tout simplement parce que depuis plusieurs mois nous avons appris à vivre en communauté, à s’entraider. En tant que délégué des familles, je ne peux pas accepter de dormir au chaud pendant que d’autres restent dehors. Alors nous sommes revenus sur la place aussitôt.

 

Hier soir, nous avons été dirigés par le 115 vers les urgences de l’Hôpital de la Fontaine, à Saint-Denis pour y passer la nuit. Nous ne savons pas encore ce que nous ferons la nuit prochaine. Maintenant, nous avons notre sac de couchage sur le dos et nous improvisons. J’ai confié mes deux enfants à une amie qui habite la Courneuve, le temps que je trouve une solution.

 

"Je suis persona non grata dans mon pays, je ne veux pas y retourner"

 

Ces six derniers mois, notre vie dehors s’était organisée avec le soutien, entre autre, du DAL. Nous avons toujours réussi à garder cette place propre. Nous avions installé des tentes au dessus des bouches d’évacuation d’eau pour que les femmes fassent leur toilette.

 

J’ai fui la Côte d’Ivoire en 2004 à cause de la guerre. J’y ai laissé mon premier fils, dont je n’ai pas de nouvelles. Aujourd’hui, je suis persona non grata dans mon pays, je ne veux pas y retourner."

 

 

Toutes ces photos ont été prises lundi 7 novembre place de la Fraternité à la Courneuve, lors de l'évacuation du campement des expulsés de la barre Balzac. Elles sont publiées sur le blog La Cause du peuple.

 

Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Peggy Bruguière, journaliste à FRANCE 24.