AFGHANISTAN

Pied de nez aux Taliban : un festival rock en plein Kaboul

 Dix ans après la chute du régime Taliban, sous lequel jouer de la musique était passible de peine de mort, la scène rock afghane organise son premier festival depuis 35 ans. Et pour éviter la colère des extrémistes, les festivaliers ont dû s’adapter en communiquant au dernier moment, et par textos, les lieux des concerts.  

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Dix ans après la chute du régime taliban, sous lequel jouer de la musique était passible de peine de mort, la scène rock afghane organise son premier festival depuis 35 ans. Et pour éviter la colère des extrémistes, les festivaliers ont dû s’adapter en communiquant au dernier moment, et par textos, les lieux des concerts.

 

Le Sound Central Festival s’étend sur un mois et se terminera au milieu du mois d’octobre. Il est organisé grâce à des bénévoles, mais est supervisé par un artiste australien installé en Afghanistan. Si la plupart des ateliers et des concerts ont été organisés dans des lieux privés, un grand concert a été donné samedi au beau milieu de la ville et en plein jour, avec un dispositif sécuritaire à la mesure de l’évènement. Jusqu’à présent, aucune attaque n’a toutefois été enregistrée contre les participants.

  

Des fans de musique rock au festival en plein air de samedi. Vidéo de Travis Beard, un des organisateurs de l'événement. 

  

Quatre groupes locaux y participent, avec des genres musicaux allant de l’indie-rock au métal. D’autres participants sont venus d’Ouzbékistan, du Kazakhstan, du Pakistan et même d’Australie. Au cours d’ateliers, les musiciens peuvent apprendre les différentes techniques de scène, d’enregistrement, de mixage et de promotion de leur musique. Certains ont bénéficié, via Skype, des conseils avisés de professionnels, comme par exemple le batteur du groupe américain Dresden Dolls.

 

Le Sound Central est le premier festival rock organisé à Kaboul depuis qu’en 1975 le très populaire Ahmad Zahir, connu pour avoir associé guitare électrique et instruments traditionnels, avait donné un grand concert public.

  

Le groupe Uzbek Band Tears of the Sun. Vidéo publiée sur YouTube par Omidhaq.

"Il y a même des filles qui sont venues"

Siddique Ahmad, 29 ans, joue de la basse ai sein de Kabul Dreams, le premier groupe de rock à s’être formé après la chute du régime des Taliban, en 2001. Il étudie à l’université américaine à Kaboul.

 

Tout le monde s’inquiétait des éventuels problèmes de sécurité, donc pour le concert principal, qui s’est tenu samedi, nous avons tenu le lieu secret jusqu’à la veille. Je pense qu’on aurait pu rassembler une foule bien plus importante si nous avions fait une promotion un peu plus en amont mais, à Kaboul, vous ne savez jamais ce qui peut arriver...

 

Le festival s’est bien passé pour une première. Certains avaient déjà vu des concerts en live, mais pour d’autres, c’était vraiment une expérience nouvelle. Il y a même des filles qui sont venues. En général, ces concerts se tiennent dans des endroits privés et de nuit. Les problèmes de sécurité à Kaboul sont tels que, même moi, quand je rentre tard, je me fais gronder par ma famille. Donc imaginez un peu pour des filles !

 

Notre groupe a déjà participé à des festivals à l’étranger, en Inde, en Turquie ou en Ouzbékistan. Mais c’est très difficile d’obtenir des visas pour certaines destinations car les autorités sont persuadées que l’on va en profiter pour demander l’asile politique.

 

Jouer à l’étranger, c’est très différent. Pour les étrangers, c’est génial de voir un groupe de rock afghan sur scène. Mais pour nous, c’est beaucoup de pression de jouer devant des gens qui s’y connaissent bien en musique et qui connaissent des tas de groupes.

 

"Certains regardent des vidéos sur Internet pour savoir comment se comporter pendant le concert"

 

En Afghanistan, on joue devant des publics qui ne sont pas forcément très familiers avec ce type de musique. Au début, les gens ne savaient pas comment réagir parce qu’ici la musique c’est quelque chose de sérieux. Le public s’assied et écoute calmement. Mais quand nous jouons, nous demandons au public de se lâcher. On a remarqué que certains étaient allés sur Internet pour savoir comment se comporter pendant un concert de rock. Au premier concert, ils ne bougeaient pas, puis au deuxième, ils marquaient le rythme avec leur tête comme sur les vidéos !

 

La jeunesse afghane préfère la pop nationale ou la musique Bollywood. La musique traditionnelle est aussi très populaire. De manière générale, en Afghanistan, il existe une certaine 'xénophobie' envers les genres musicaux étrangers.

 

Nos textes ne parlent pas de politique ou de société. Notre musique cherche davantage à exprimer nos sentiments. On essaye d’aborder des choses positives, comme les relations amoureuses, la paix, l’harmonie.

 

"La sécurité s’est dégradée et les concerts privés sont devenus moins fréquent"

 

Au début, c’était très excitant d’être le premier groupe de rock de Kaboul, mais en même temps c’était très compliqué. Nous avons beaucoup lutté pouvoir créer une scène rock ici. Il fallait trouver des instruments, trouver des lieux pour répéter, etc. Notre album est prêt depuis un certain temps, mais nous n’avons toujours pas pu l’enregistrer à cause du manque d’infrastructures. Aujourd’hui, on envisage de l’enregistrer en Turquie.

 

On ne gagne pas notre vie avec la musique. En fait, on en dépense beaucoup. En 2008, on arrivait à se faire payer pour des concerts privés. On jouait lors d’évènements dans des ambassades ou des restaurants. Mais au fur et à mesure que la sécurité s’est dégradée, ces concerts sont devenus moins fréquents. Nous n’avons quasiment pas joué cette année."

 

Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Gaëlle Faure, journaliste à FRANCE 24.