Une poignée de manifestants fait le siège de Wall Street
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Ils sont peut-être beaucoup moins nombreux que les opposants de la place Tahrir qui ont renversé le régime de Moubarak, en Égypte, mais les ambitions des manifestants qui squattent devant Wall Street depuis le 17 septembre ne sont pas moins grandes. Au lendemain d’un week-end très animé et marqué par l’arrestation de 80 manifestants, l’un d’entre eux nous explique qu’il veut une "révolution totale" et qu’en plus d’être motivé, il a tout son temps.
Devant Wall Street, le 19 septembre. Photo : Alex Féthière.
Ils sont peut-être beaucoup moins nombreux que les opposants de la place Tahrir à avoir renversé le régime de Moubarak, en Égypte, mais les ambitions des manifestants qui squattent devant Wall Street, depuis le 17 septembre, ne sont pas moins grandes. Au lendemain d’un week-end très animé et marqué par l’arrestation de 80 manifestants, l’un d’entre eux nous explique qu’il veut une "révolution totale" et qu’en plus d’être motivé, il a tout son temps.
Samedi 17 septembre, ils étaient plus de 1 000 manifestants à avoir répondu à l’appel lancé sur Internet pour "occuper Wall Street". Depuis, le Zuccotti Park (anciennement appelé Liberty Plaza Park) où les "golden boys" de la bourse de Wall Street avaient l’habitude d’avaler leur déjeuner, avant de retourner dans les salles de marché, a été rebaptisé "Parc de la Liberté". Désormais, il est squatté jour et nuit par 200 militants qui y expriment leur colère contre la pauvreté, l’exclusion, le chômage, les injustices sociales, la peine de mort... Et parce que, selon les chiffres avancés par les manifestants, 1% de la population contrôle 99% des richesses des Etats-Unis, certains ont décidé de se baptiser les "99%".
Tous les jours, les manifestants se regroupent en assemblée générale. Tout un chacun peut s’exprimer, les militants veillant à ce que personne ne parle au nom du groupe. Des votes ont par ailleurs été organisés pour déterminer la marche à suivre face aux interventions de la police. Car si la présence des manifestants est tolérée la plupart du temps, il arrive que les forces de l’ordre procèdent à des arrestations. Dimanche, lors d’un rassemblement de plusieurs centaines de personnes, 80 manifestants ont été arrêtés dans le quartier d'Union Square, au motif qu’ils gênaient la circulation. Plusieurs ont rapporté sur le site Occupy Wall Street avoir été victimes de brutalité.
Sur cette vidéo filmée samedi dans le quartier d’Union Square, un groupe de manifestantes est encerclé par la police dans un filet orange avant de se faire asperger de gaz lacrymogène. Plusieurs personnes ont été arrêtées pour troubles à l’ordre public et résistance. Un manifestant a été accusé de violences sur policier.
Photos des pancartes qui jonchent le sol à côté du campement. En arabe, il est écrit "Palestine".
"Notre campement, c’est un laboratoire d’idées pour repenser la société"
Harrison Schultz est analyste dans une entreprise de marketing à New York. Il travaille par ailleurs sur son doctorat en sociologie. Il fait partie des organisateurs du mouvement "Occupy Wall street".
Nous n’avons pas compris la vague d’arrestation de samedi. C’est vrai qu’il y avait du monde. Les gens qui dorment depuis plus d’une semaine sur le campement avaient été rejoints par des centaines d’autres. Moi, j’attendais au Liberty Park une livraison de nourriture, quand un ami m’a appelé pour me dire que ça commençait à mal tourner. Alors j’ai couru là-bas pour voir ce qui se passait. Les policiers ont été particulièrement agressifs. Ils utilisent notamment une nouvelle technique : pour encercler les gens, ils les entourent avec des filets. Ils ont aussi pris la camera de la personne qui filmait notre mouvement. Indéniablement, l’usage de la violence était inapproprié.
D’après mes informations, il y a eu 96 arrestations. Je crois que la plupart ont été relâchés. Dimanche, le calme est revenu. Le campement installé sur le Parc de la Liberté est toujours aussi plein et on attend encore du monde.
Manifestation samedi à Broadway. Postée sur YouTube.
J’y ai passé plusieurs nuits la semaine dernière et j’y étais encore ce week-end. Il est très difficile de savoir combien nous sommes, car les gens viennent et repartent au fil des heures. Il n’y a pas que des chômeurs. Beaucoup de manifestants ont un travail à plein temps et viennent ici sur leur temps libre. Il y a évidemment des étudiants, mais aussi beaucoup d’artistes. Nous sommes chaque jour plus nombreux, mais nous sommes aussi bien mieux organisés qu’au début. Nous avons bénéficié de donations privées [une des pizzerias du quartier a par exemple reçu des commandes de sympathisants pour nourrir les militants de Wall Street…], nous avons organisé un centre de presse pour gérer les demandes des médias, nous sommes très actifs sur le net (#OccupyWallStreet #takewallstreet #sep17) et nous diffusons même en direct ce qui se passe sur le campement.
"On s’amuse beaucoup et on a tout notre temps"
L’idée est partie d’un appel publié en août par le groupe d’activistes en ligne Adbusters, baptisé #Occupy Wall Street. Ils voulaient s’inspirer du printemps arabe pour monter un mouvement de résistance en occupant un lieu symbolique. [Ne pouvant entrer à Wall Street, il se sont installés quelques rues plus loin] Je ne peux pas parler au nom de tous, mais mon souhait, c’est que tout change. Je ne supporte plus nos vieilles institutions politiques, notre système éducatif qui date du siècle dernier. Il nous faut aussi une nouvelle protection sociale et organiser une refonte totale du système financier. De toute évidence, les gens qui sont ici ont des idées plutôt radicales : il y a notamment des anarchistes, des syndicalistes, des communistes. Et si nos demandes partent dans tous les sens, c’est parce que la révolution doit être totale. À Wall Street, on discute, on explore, c’est comme un laboratoire d’idées. Et en plus de ça, on s’amuse beaucoup et on a tout notre temps. Pour le groupe "Occupy Wall Street", chaque jour est une nouvelle aventure.
Je considère que mes compatriotes sont trop passifs. Si vous voulez la justice sociale, vous ne pouvez attendre qu’on vienne vous la donner, vous devez aller la chercher vous-même. Et tout le monde est sensible à ce discours. J’ai été interviewé par une radio du Wisconsin et les gens appelaient pour nous remercier. Même le directeur de ma boite de marketing soutient mon action."
Des manifestants ont inscrit leurs dettes personnelles sur des pancartes.
Samedi 24, les manifestants arrêtés sont bloqués assis contre un mur au croisement de la 11th et 5th avenue à Manhattan. Photos postées par Harrison Schultz sur sa page Facebook.
Liberty park, près de Wall Street le 25 septembre. Photo postée sur Flickr par Mattron.
"Ces personnes se trompent de cible. Wall Street a été l’un des secteurs les plus touchés par la crise"
Steve Guilsoyle, 47 ans, travaille sur les marchés en tant qu’économiste pour la compagnie Meridian Equity Inc. Il est à Wall Street depuis 1987.
Ce mouvement est vraiment compliqué à gérer au quotidien. Non pas qu’il perturbe notre travail, mais, en fait, ces manifestants sont devenus un obstacle physique sur le chemin du bureau. On a du mal à accéder au métro ou même à traverser la rue. Pour moi, ces personnes se trompent de cible. Wall Street a été l’un des secteurs les plus touchés par la crise. Plus d’employés ont perdu leur boulot ici que n’importe où ailleurs.
Le fait est qu’il est très facile de généraliser quand on parle des traders. Mais Wall Street est un endroit plus compliqué que cela à cerner. C’est un lieu en constante évolution et notamment depuis la crise, il y a cinq ans (crise des subprimes de 2006).
"Je suis toujours aussi fier de dire ce que je fais dans la vie"
Une des principaux préjugé sur Wall Street c’est que tous les gens qui y travaillent sont très bien payés. En réalité, nous faisons partie de la classe moyenne. Mais les gens préfèrent écouter ce qui se dit dans les médias. C’est vrai qu’une poignée de gens touche des bonus exorbitants, mais ce n’est en rien représentatif des salaires de tous ceux qui travaillent ici. La plupart d’entre nous n’a pas touché de bonus l’année dernière. Et nous avons aussi subi des réductions de salaires.
Quand je vais au travail le matin, je vois des gens avec des pancartes : "honte à Wall Street". Alors si la question, c’est de savoir si oui ou non Wall Street a fait du mal à l’économie du pays en 2006 (crise des subprimes), je réponds que 'oui, c’est vrai". Mais il faut qu’ils réalisent que les gens contre lesquels ils s’insurgent sont loin de tous gagner 100 000 dollars (74 000 euros) par an.
Moi, je suis comme tout le monde, comme le pompier, le policier, le mec au bout de la rue. Je ne me sens en rien différent des autres. Et Wall Street a beau avoir été diabolisé après la dernière crise, je suis toujours aussi fier de dire ce que je fais dans la vie. Travailler là-bas, c’est beaucoup d’heures de bureau et ceux qui y sont savent bosser. Et je n’ai pas honte de ça."
Photos du mouvement Occupy Wall Street postées sur Flickr par Alex Féthière.