Les maoïstes version 2011 inquiètent Pékin
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Au début du mois, un groupe de maoïstes a été dispersé par la police alors qu’il commémorait, dans une ville du nord de la Chine, les 35 ans de la disparition de Mao Zedong. Ce mouvement nostalgique, qui agace les autorités, semble avoir oublié les dérives du Grand Timonier pour ne retenir que l’image d’une société jugée plus égalitaire qu’aujourd’hui. Un de ces maoïstes a accepté de nous parler.
Au début du mois, un groupe de maoïstes a été dispersé par la police alors qu’il commémorait; dans une ville du nord de la Chine, les 35 ans de la disparition de Mao Zedong. Ce mouvement nostalgique, qui agace les autorités, semble avoir oublié les dérives du Grand Timonier pour ne retenir que l’image d’une société jugée plus égalitaire qu’aujourd’hui. Un de ces maoïstes a accepté de nous parler.
Le 9 septembre, à Taiyuan, dans la province du Shanxi, quelques dizaines de maoïstes ont repris des chants révolutionnaires et prononcé des discours faisant référence au Petit Livre rouge. À la fin du rassemblement, alors que la police essayait d’arrêter l’organisateur de l’évènement, Li Zhong, les manifestants ont protégé leur leader au cri de "Longue vie au Président Mao". Neuf personnes ont été arrêtées, mais l’organisateur à réussi à s’échapper. La plupart des participants étaient des membres actifs du site Internet "Utopia", le plus important "forum de gauche" du Net chinois.
Pour la nouvelle génération de maoïstes, le Parti communiste chinois, en faisant le choix du capitalisme, a piétiné les bases de l’idéologie de Mao Zedong. Ils considèrent qu’à travers le processus de mondialisation, des traîtres ont permis aux entreprises étrangères d’entrer en Chine, de spolier les ressources du pays, d’exploiter une main-d’œuvre à bas coût et de détruire l’environnement. Aujourd’hui, le discours de ces nouveaux révolutionnaires séduit de plus en plus les couches populaires - touchées par le chômage -, mais il contrarie les autorités.
Le bilan de l’époque maoïste est une éternelle source de polémique. Les nostalgiques retiennent surtout les avancées de cette période (1949-1976) : industrialisation, augmentation du taux d’alphabétisation de la population, baisse du taux de mortalité... Ils éludent toutefois les points noirs de l’ère maoïste.
Ardent défenseur du socialisme, Mao Zedong a imposé au pays le modèle communiste russe, défendant le collectivisme économique, la dictature d'un parti unique ainsi que le culte de sa personne. Sa politique du "Grand Bond en avant", mise en place entre 1958 et 1960 et qui devait permettre au pays d’accélérer la production industrielle chinoise, a été un échec criant. Elle aurait causé une des plus grandes famines de l’histoire du pays. Quelques années plus tard, en 1966, Mao Zedong, assisté par les Gardes rouges (des centaines de milliers de jeunes acquis à ses idées) lance la Grande Révolution culturelle pour nettoyer le parti des "révisionnistes", ses ennemis politiques. Délations, exécutions... la période est marquée par une extrême violence. Aujourd’hui, les estimations des historiens sur le nombre de victimes du maoïsme divergent, la fourchette haute évoquant 50 à 70 millions de morts sur l'ensemble de la période.
"Un petit groupe tient les rênes du pays et exploite le reste de la population"
Hua Qiao est né en 1972 et vit à Shanghai. Photographe et militant maoïste, il poste des billets sur le site Utopia. Il a accepté de nous livrer son témoignage par l’intermédiaire de l’un de nos Observateurs, alors que les membres de ce mouvement sont en général réticents à parler à la presse étrangère.
Je suis maoïste car je me sens à la fois de gauche et conservateur. Utopia, le site pour lequel j’écris, a aussi une librairie à Pékin. C’est un peu le camp de base des maoïstes du pays. Mais notre idéologie étant très controversée en Chine aujourd’hui, il est plus facile pour nous de communiquer par Internet.
Aujourd’hui, la structure du Partic communiste chinois (PCC) n’est plus la même qu'au temps de Mao. Avant, la plupart des membres étaient des paysans et des ouvriers mais maintenant, le Parti a beau dire qu’il représente tous les Chinois, la majorité de ses membres sont des bureaucrates. Comme l’avait prophétisé Karl Marx, la société capitaliste chinoise se divise aujourd’hui en classes. Un groupe, formé de 3 000 à 4 000 leaders chinois et de plusieurs dizaines de milliers d’entrepreneurs étrangers, tient les rênes du pays et exploite le reste de la population. Les maoïstes veulent le retour d’un vrai parti communiste et pas une formation qui exploite les plus pauvres.
"Certains voient le maoïsme comme une régression vers une époque très difficile"
Pendant les dernières années de sa vie, Mao avait prédit que le capitalisme reviendrait en force dans les trente années qui suivraient et c’est ce qui s’est passé. On note cependant aujourd’hui que le PCC opère un nouveau virage à gauche. [Un exemple de ce virage est la politique pratiquée depuis 2007 par Bo Xilai, chef du parti communiste de la province de Chongqing. Il défend l’égalité sociale, la lutte contre la mafia et la vigueur patriotique à travers la lecture de textes issus du Petit Livre rouge. Dans plusieurs provinces, des événements patriotiques sont organisés, notamment pour le 90e anniversaire du PCC ]. Bien sûr, certains associent toujours le maoïsme à une époque très difficile.
"Le capitalisme pose de nombreux problèmes, notamment du point de vue de l’égalité sociale"
Pourtant, les résultats des 30 années de "réforme et d’ouverture" [libéralisation et ouverture de l’économie chinoise amorcées par Deng Xiaoping, dans les années 1980] sont très mitigés. Le niveau de vie a augmenté, les gens sont plus libres, mais le fossé entre riches et pauvres s’est creusé. J’ai connu la vague de libération de la pensée dans les années 1980, l’entrée des entreprises chinoises sur les marchés dans les années 1990 et l’intégration à l’OMC en 2000. Ma conclusion, c’est que le capitalisme pose de nombreux problèmes, notamment du point de vue de l’égalité sociale.
Aujourd’hui, les gens utilisent les mots et les théories de Mao pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement, notamment en ce qui concerne la corruption, le chômage et les expropriations. Ce qui a le don d’agacer les autorités, qui restent très vigilantes vis-à-vis de notre mouvement. [Selon Sui, un de nos Observateurs en Chine, "le maoïsme est utilisé par le parti pour asseoir son autorité et fédérer la population, mais quand ils servent de vecteur de mécontentement les maoïstes sont immédiatement muselés"]. Pour autant, Mao n’avait pas donné les solutions à tous les problèmes sociaux et économiques auxquels nous sommes confrontés. Ces solutions doivent émerger d’une confrontation entre différentes forces politiques. C’est pourquoi nous devons inévitablement passer par un système multipartite pour avancer.
Aujourd’hui, beaucoup de petites organisations informelles existent. Ce ne sont pas des partis à proprement parler, mais elles sont actives sur le Web et parfois sur le terrain. Certaines sont même reliées entre elles. En ce moment, la police de Shanghai est très occupée à surveiller leurs activités au quotidien. Moi-même, j’ai créé une organisation virtuelle, le "Parti de la Révolution chinoise". La police m’a contacté plusieurs fois pour m’en parler, mais ça n’est jamais allé plus loin.
"Je pense que le fond du maoïsme tend vers davantage de démocratie"
J’ai signé la charte 08 de Liu Xiaobo [Manifeste pour une réforme démocratique du système politique chinois] car je suis d’accord avec la plupart des points du texte. Evidemment, le thème de la démocratisation reste très sensible pour certains maoïstes. Mais je pense que le fond de notre idéologie tend vers davantage de démocratie, de liberté d’expression, de droits de l’Homme. Et d’ici aux dix prochaines années, le maoïsme va bouger sur ces points précis.
"Beaucoup de sites d’idéologie marxiste ou maoïste sont bloqués"
Je ne sais pas à quel point nos débats influencent la réalité. Mais ce que je sais, c’est que beaucoup de sites d’idéologie marxiste, ou maoïste, sont bloqués [Le site Mao Flag a été plusieurs fois fermé]. Evidemment, si vos opinions sont mesurées, ça passe. Mais si vous essayez de faire de la propagande, vous vous faites bloquer immédiatement. Et ce parce que le gouvernement associe désormais le maoïsme à la dénonciation des failles du système."
"Ce sont des idéalistes"
Cheng Wenting est étudiante à Xian.
Les maoïstes sont très actifs sur les réseaux sociaux chinois. Ils prônent l’égalité sociale, mais pour moi ce sont des idéalistes. Les sites comme Utopia me fatiguent un peu. Les internautes s’attaquent ou insultent les gens qui ne partagent pas leurs opinions ou qui ont tendance à préférer les idées occidentales. Ils les insultent de "traîtres". Mais pour moi, leur opinion ne tient pas la route. Je ne les prends pas au sérieux.
Mais bien que je ne sois pas d’accord avec eux, je considère qu’ils ont le droit de s’exprimer. Du temps de Mao, les politiques étaient moins intéressés par l’argent, la corruption était endiguée et la société relativement égalitaire. Mais, apprécier certaines caractéristiques de cette époque ne signifie pas qu’il faille régresser. Par de nombreux aspects, la vie était incomparablement plus dure à l’époque."
Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.