Un Observateur à Tripoli : “La France a été le premier pays à croire en nous”

Un 'graffiti révolutionnaire' @2011feb17

À l’initiative de l’intervention de l’Otan en Libye, Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron ont effectué ce jeudi leur premier voyage dans le pays depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Cette visite surprise a pris la forme d’un tour d’honneur pour les deux dirigeants. Un juste retour des choses pour notre Observateur, qui se réjouit de sa nouvelle vie sans Kadhafi.

Arrivés ce jeudi midi à Tripoli, Nicolas Sarkozy et David Cameron n’ont passé que quelques heures dans la capitale avant de s’envoler pour Benghazi, le foyer de l’insurrection libyenne. L’accueil des habitants a été très enthousiaste : partout dans la ville flottaient des drapeaux aux couleurs des pays "libérateurs", tandis que sur les murs, on pouvait lire : "Merci Sarkozy" et "Thank you Britain".

Cette visite éclair intervient au moment où les habitants de la capitale apprennent tout juste à vivre hors du joug de Mouammar Kadhafi. Dans les rues de Tripoli, les commerces ont rouvert et des équipes de nettoyage citoyennes font place nette.

En France, de nombreux commentateurs politiques voient ce voyage présidentiel comme une opération de communication et un moyen pour la France de tirer les bénéfices économiques de son intervention militaire. Notre Observateur, lui, accueille les dirigeants européens à bras ouverts.

Collecte d'ordures dans Tripoli @2007feb17

“C’est normal que la France s’attribue sa part de mérite dans le succès de la révolution”

Notre Observateur, @2011feb17 (pseudonyme), un cyber-activiste qui habite Tripoli, préfère conserver son anonymat car il craint encore les représailles. Il avait déjà témoigné sur notre site il y a un mois, alors que la capitale était aux mains de l’ancien pouvoir.

La France, et personne ne peut le nier, a été le premier pays à croire en nous, à comprendre notre révolution et à nous venir en aide. C’est tout à fait normal que ce pays s’attribue sa part de mérite dans le succès de la révolution. Les Libyens n’oublieront jamais qui les a soutenus comme ils n’oublieront pas ceux qui ont aidé à les tuer. Je dis ‘tuer’ parce tous les jours, des jeunes tombaient par centaines sous les balles de l’ennemi. Le comportement de certains pays, ceux qui ont soutenu Kadhafi sans complexe comme la Russie, l’Afrique du sud, la Chine, l’Algérie ou le Venezuela, a renforcé l’ennemi.

Bien sûr qu’il existe des motivations économiques derrière cette visite, mais je ne vois pas de problème à cela. J’ai conscience que la France et le Royaume-Uni ont toujours entretenu des relations économiques avec le régime corrompu de Kadhafi. Mais je crois sincèrement qu’ils nous aident d’abord pour des raisons humanitaires. Les Occidentaux ont fait de la protection des citoyens une priorité alors que la Russie, l’Afrique du Sud et la Chine se préoccupaient plus de savoir si leurs contrats allaient être honorés.

Certaines personnes, que je trouve naïves et crédules, pensent que les Occidentaux prennent notre pétrole gratuitement. Ils oublient que c’est une marchandise qui se vend. La seule différence aujourd’hui, c’est que l’argent que nous recevrons en retour servira à construire la Libye, après 42 ans de gabegies. Rien que pour cela, je dis oui à l’intervention de l’Otan et oui aux accords économiques.

@2011feb17

“Tous les soirs, des gens se rendent sur la place des Martyrs. La différence aujourd’hui, c’est qu’ils ne sont pas payés "

Aujourd’hui, les gens peuvent s’exprimer librement même s’ils n’arrivent pas encore à y croire. L’autre jour, j’ai vu quelqu’un montrer fièrement le badge aux couleurs de l’indépendance qui était accroché sur sa poitrine. Il disait : "Pince moi ! Tu imagines que je porte ça en public alors qu’il y a quelques semaines, je me serais fait tirer dessus pour ça ?". Avant le 20 août, c’est vrai, tu pouvais te faire tuer simplement parce que tu avais un drapeau rouge, noir et vert chez toi.

La vie a énormément changé depuis la chute de Tripoli. Il n’y a plus de pénurie de nourriture ou d’eau, ni de queue aux stations-essence. Les coupures de courants sont moins fréquentes et les banques commencent à rouvrir. Parfois, on entend parler de vols ici ou là, mais pas plus qu’avant le début de l’insurrection. Nous pensions tous qu’il y aurait des pillages mais heureusement ce n’est pas le cas. Les combattants de la liberté patrouillent dans les rues, ce qui nous fait nous sentir en sécurité.

Les gens continuent de se rendre sur la place des Martyrs tous les soirs. La différence, aujourd’hui, c’est qu’ils le font de leur plein gré. Personne n’est forcé ou payé pour célébrer la victoire.

Quand Tripoli a été libérée, j’ai révélé seulement à quelques personnes ce que j’avais fait pendant la guerre [durant l’insurrection, @2001feb17 a tweeté des informations sur Tripoli, ndrl] parce que je crains encore pour ma sécurité. Les amis et voisins à qui j’en ai parlé m’ont avoué qu’ils s’en étaient doutés et ça m’a donné la chair de poule. 

"Tous les Libyens sont comme des enfants prêts à ouvrir leur cadeau alors qu’approche leur date d’anniversaire"

Le seul problème aujourd’hui, c’est que Kadhafi court toujours. On sait à quoi il ressemble et quels types d’armes il utilise. Mais on ne sait pas où il se cache et quand il va frapper. Sans oublier qu’il a encore des complices. Les derniers loyalistes peuvent encore tuer des civils innocents. Et ils sont tellement endoctrinés qu’ils croient encore au retour de Kadhafi.

Je suis furieux d’entendre des gens critiquer Jibril après tout ce qu’il a fait [Mahmoud Jibril, numéro 2 du CNT, a été critiqué par les conservateurs du pays pour sa position jugée trop laïque. Le CNT vient pourtant de déclarer que l’islam sera la principale source de législation de la nouvelle Libye, ndrl]. Certes, c’est normal de critiquer un gouvernement provisoire, mais cela pourrait s’avérer dangereux en ce moment.

Il est trop tôt pour savoir comment les choses vont évoluer. Je suis peut-être trop optimiste, mais quand je vois le visage des gens quand on parle des élections qu’ils attendent depuis 42 ans, je me dis que tout ira bien. J’ai 45 ans et je n’ai jamais touché un bulletin de vote. Tous les Libyens sont comme des enfants prêts à ouvrir leur cadeau d’anniversaire. Nous ne savons pas ce qu’il y a sous le papier, mais nous nous frottons les mains de joie à l’idée de pouvoir l’ouvrir." 

Des enfants recyclent en jouets les balles retrouvées au QG de Kadhafi @2011feb17.