Pour se protéger des voleurs, ils adorent un saint gangster
Au Venezuela, l’un des pays d’Amérique latine où la criminalité est la plus importante, des saints d’un nouveau genre ont fait leur apparition. Les ‘Santos Malandros’ (les "saints voyous") sont d’anciens petits bandits devenus à leur mort des icônes religieuses. Avec une originalité : ces saints sont représentés munis de battes de baseball pour protéger leurs adeptes des délinquants.
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Au Venezuela, l’un des pays d’Amérique latine où la criminalité est la plus importante, des saints d’un nouveau genre ont fait leur apparition. Les ‘Santos Malandros’ (les "saints voyous") sont d’anciens petits bandits devenus à leur mort des icônes religieuses. Avec une originalité : ces saints sont représentés munis de battes de baseball pour protéger leurs adeptes des délinquants.
Les membres de la ‘Corte Malandra’ (la "cour des voleurs") sont tous des escrocs à la petite semaine, morts dans les années 1970, qui ont gagné le respect parce que, selon la légende, ils n’ont jamais commis de vols dans leur quartier et ont toujours partagé le butin de leurs pillages avec les nécessiteux de leur entourage. Leurs fidèles ont toujours été perçus comme des voleurs et des prostituées mais en réalité, de plus en plus de Vénézueliens se sont mis à les vénérer et à leur demander protection.
Le plus connu de ces saints est Ismael Sánchez, un brigand qui aurait volé des cargaisons de viandes ou de farine pour les distribuer aux habitants de son quartier pauvre de Caracas. Sa mort reste un mystère. Pour certains, il a été tué au cours d’un combat ; pour d’autres, il serait mort d’une balle tirée par un policier. Qu’importe, au grand cimetière du sud de Caracas où il est enterré, sa tombe est devenue un sanctuaire populaire que les Vénézuéliens ornent de bougies et d’offrandes de toutes sortes.
L’adoration de la Corte Malandra a commencé en 1989 alors que la tension sociale dans le pays était à son comble. Un plan de rigueur économique mis en place par le président Carlos Andrès Pérez a déclaneché de vives protestations à Caracas, un mouvement resté célèbre sous le nom de ‘Caracazo’. L’instabilité politique s’est ajoutée à la crise économique et le taux de criminalité a explosé dans les années 1990. Hugo Chavez, élu président en 1999, a tenté de réduire la pauvreté mais l’insécurité a continué de croître.
Des adorateurs devant l'icône d'Ismael Sanchez. Vidéo publiée sur YouTube par jmisterbarbaro.
En 2010, pas moins de 17 600 homicides ont été enregistrés dans le pays, soit trois fois le nombre de meurtres commis au cours des dix dernières années, selon l’Observatoire vénézuélien de la violence, une ONG spécialisée dans le décompte des crimes. Avec cinquante-sept assassinats pour 100 000 habitants, le Venezuela arrive en seconde position des pays les plus dangereux d’Amérique latine, après le Salvador. Le gouvernement vénézuelien n’a pas publié de statistiques officielles depuis 2005.
"Les gens préfèrent aller voir les saints de la Corte Malendra parce qu’ils comprennent la rue mieux que les autres"
Teresa (pseudonyme) est éducatrice dans l’est du Venezuela et une dévote de la Corte Malandra.
La plupart des adorateurs de la Corte viennent demander à être protégés des crimes qui sont commis quotidiennement depuis que l’insécurité a augmenté au Venezuela. C’est courant de voir des parents leur demander de les aider à éloigner leurs enfants de la drogue et de la délinquance. Les gens préfèrent aller voir les saints de la Corte Malendra parce qu’ils comprennent la rue mieux que les autres.
Je voue un culte à Ismael Sánchez et à la Corte depuis huit ans, et je crois vraiment que tous m’ont protégée du mal. Un soir de janvier, je rentrais chez moi quand j’ai été attaquée par un groupe de voyous qui ont abusé de moi. J’étais complètement détruite et je voulais mourir. Quelques jours plus tard, j’ai rêvé qu’Ismael apparaissait pour me dire qu’il ne m’avait pas abandonnée. Il me consolait en me disant que j’étais encore vivante et que les gens qui m’avaient fait du mal seraient traduits en justice. Dans mon rêve, je lui ai dit que je voulais que ces personnes meurent, mais il m’a avertie qu’il ne fallait jouer avec la mort parce que c’est un fardeau que l’on porte toute sa vie. Le lendemain matin, je me suis réveillée apaisée. Dans la foulée, ma mère a reçu un coup de téléphone l’informant que mes agresseurs avaient été arrêtés la police. J’ai été si reconnaissante que j’ai appelé mon fils Ismael.
Photo publiée sur Flickr par Ronald Riva.
Photo publiée sur Flickr par Matías Jaramillo.
Retrouvez nos articles sur les autres saints originaux d'Amérique du Sud : Santa Muerte, une sainte mexicaine pas très catholique et San Malverde, saint patron des voleurs et des narcotrafiquants.
Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Andrés Bermúdez Liévano, journaliste freelance.