ISRAËL

Cette classe moyenne israélienne qui peine à boucler ses fins de mois

 Tel Aviv bloquée par des taxis en colère, Jérusalem envahie par des parents et des poussettes : voilà à quoi ressemblait Israël, ce jeudi 3 août. Depuis trois semaines, l’État hébreu connaît une vague de protestation sans précédent.

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Tel Aviv bloquée par des taxis en colère, Jérusalem envahie par des parents et des poussettes : voilà à quoi ressemblait Israël, ce jeudi 3 août. Depuis trois semaines, l’Etat hébreu connaît une vague de protestation sans précédent.

 

Les résultats économiques d’Israël ont de quoi faire pâlir les puissances occidentales : 4,7% de croissance en 2010 [l’OCDE table sur 5% de croissance pour 2011], un taux de chômage exceptionnellement bas (6%) et une balance commerciale excédentaire. Et pourtant, le pays est en proie à une grogne sociale qui semble inextinguible depuis la mi-juillet. Les causes et les revendications sont multiples, mais toutes sont relatives au coût de la vie : le prix de l’essence est 30% plus cher qu'en Europe, le coût des logements a augmenté de 63% en quatre ans, et les prix des denrées alimentaires se sont envolés. Résultat, la mobilisation amorcée par les étudiants au mois de juin touche désormais l’ensemble de la classe moyenne.

 

À la manière des Indignés espagnols, les manifestants ont d’abord commencé par installer des campements dans les grandes villes du pays. Mais dimanche 31 juillet, la mobilisation a franchi une nouvelle étape puisque plus de 100 000 Israéliens sont descendus dans les rues à travers tout le pays, au cri de "La population veut plus de justice sociale". 

 

Le campement de tentes sur le boulevard Rothschild, à Tel Aviv. Vidéo publiée sur YouTube par ElvinConcepts.

 

Cette tension sociale inédite n’a pas manqué de fragiliser le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, dont la cote de popularité a dégringolé au fur et à mesure que la mobilisation s’amplifiait. Le 31 juillet dernier, il a présenté au Conseil des ministres un premier projet de réformes, notamment pour la construction de logements sociaux et de chambres universitaires. Affirmant "prendre conscience" de la colère des Israéliens, il a aussi annoncé la création d’une "équipe interministérielle chargée de présenter un plan pour alléger le poids des dépenses" qui pèse sur les Israéliens.

  

Mais ces annonces n’ont pas calmé les manifestants. Le prochain rendez-vous pour une mobilisation à l’échelle nationale est fixé au dimanche 7 août.

 

Manifestations à Haïfa, le 30 juillet. Vidéo publiée sur YouTube par Orenpa11.

“Sans l’aide de nos parents, nous ne pourrions pas nous en sortir”

Ohad Milchgrug est développeur web et père de deux enfants. Il vit à Tel Aviv.

 

Tout a commencé sur Facebook. J’ai vu qu’un appel avait été lancé pour un sit-in et j’ai décidé d’aller y faire un tour [Le campement a pris place sur le boulevard Rothschild, un des endroits les plus huppés de Tel Aviv]. Le campement a grossi à une vitesse folle. Le premier soir, il y avait seulement quatre ou cinq tentes. Et puis pendant la nuit, une trentaine d’autres ont été montées. Depuis, tous les jours, des personnes continuent de s’installer.

 

J’ai deux enfants. Ma femme et moi-même avons tous les deux un bon travail. Pourtant, on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Sans l’aide de nos parents, nous ne pourrions pas nous en sortir. Le coût de la vie est trop élevé. Le budget garderie des enfants représente le tiers de nos deux salaires réunis. On a le sentiment que le gouvernement fait tout pour les familles riches qui contrôlent l’économie du pays et oublie le reste de la population.

 

Je pense qu’inconsciemment, les manifestants ont été très influencés par ce qui s’est passé et se passe encore autour de nous, en Tunisie, en Syrie et en Egypte. Nous avons vu comment les gens ont décidé de prendre leur propre destin en main. Et même si la situation en Israël est meilleure que dans ces pays, même si nous avons les libertés individuelles, nous estimons que nous sommes traités injustement sur le plan économique."

  

"Nous ne voulons pas protester, nous apportons des solutions" Photo publiée sur Twitpic par @Mamoudinijad.

“Je suis interne depuis quatre ans et j’ai toujours été payé moins que le salaire minimum”

Imri Fisher termine ses études de psychologie à Tel Aviv.

 

Les médecins sont descendus dans la rue avant que ne commencent les grosses manifestations [Les médecins du pays sont en grève depuis avril 2011. Ils réclament une hausse de salaires de 50 % et une amélioration du matériel hospitalier]. Ils protestent contre un système de santé qu’ils jugent désastreux. Les gens doivent attendre des mois pour se faire opérer et il n’y pas assez de lits dans les hôpitaux.

 

Autre motif de mécontentement, leurs conditions de travail. Deux fois par semaine, ils font des journées de 30 heures, sans prendre de pose. Et les patients finissent par voir des spécialistes qui n’ont pas dormi.

 

En ce qui me concerne, je peux témoigner que les services de psychologie n’ont plus de fonds suffisants pour fonctionner correctement. Il n’y a plus d’argent. Aujourd’hui, si un enfant a des problèmes à l’école et qu’il devient violent, il devra attendre au moins un an avant de pouvoir recevoir une assistance psychologique. Nous, les internes, sommes traités comme des esclaves. Je suis interne depuis quatre ans et j’ai toujours été payé moins que le salaire minimum, alors que je travaille dans le secteur public. C’est absurde.

 

Les gens sont très en colère mais plein d’espoir aussi. Les manifestations ont commencé seulement avec quelques personnes qui avaient planté des tentes et personne n’imaginait qu’elles prendraient une telle ampleur.

 

Ce que je redoute le plus, c’est qu’un missile arrive de Gaza et que le mouvement prenne fin." 

 

"Les psychologues et les médecins gagnent 2150 shekels par mois" (environ 430 euros). Photo envoyée par Imri Fisher.

“Tout mon salaire sert à payer la crèche, celui de ma femme, le loyer”

Eran Kalimi est monteur à Giva’at Yearim, une ville proche de Jérusalem. Il a deux enfants.

 

Au début, je n’étais pas tellement impliqué dans le mouvement. Mais quand un jour, j’ai réalisé que les gens se mobilisaient pour des raisons valables et qu’ils représentaient une large partie de la société – des gens de droite, de gauche, des gens des colonies, mais aussi des Palestiniens, des jeunes et des vieux – je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma femme : "C’est sérieux, on devrait le faire". J’ai donc emmené ma famille à la marche de dimanche dernier pour manifester contre la cherté de la vie.

 

Ma profession m’oblige à travailler à Tel Aviv mais je ne peux pas y vivre, ni même à Jérusalem, parce que c’est trop cher. Je mets presque deux heures et demi pour aller au travail en transports en commun.

 

Tout mon salaire sert à payer la crèche pour mes deux enfants qui ont 2 et 4 ans. Celui de ma femme [qui est webmaster] paye notre loyer. Et après, il nous reste à payer les soins, la sécurité sociale, les impôts et ainsi de suite.

La croissance économique se porte bien, l’Etat, le Trésor et les riches ont beaucoup d’argent, mais cela ne profite pas vraiment à la majorité.

 

J’espère que le gouvernement va engager des réformes à long terme pour améliorer les secteurs de l’éducation et des transports, pour rendre les loyers plus abordables pour les étudiants et pour aider les familles à devenir propriétaires. Mais je ne suis pas optimiste. Israël va finir par entrer en guerre ou être la cible d’une nouvelle attaque de missiles et les autorités diront : "Nous sommes en guerre donc il faut investir dans le secteur de la défense, nous ne pouvons pas être divisés maintenant. "

  

Des parents à Tel Aviv avec les poussettes pour manifester contre le coût de la garderie et de l'éducation des enfants.