Un survivant de la fusillade : "Je faisais le mort, j’entendais son souffle à côté de moi"
Adrian Pracon fait parti des nombreux jeunes qui s’étaient rendus sur l’île norvégienne d’Utoya pour assister au camp d’été du Parti travailliste norvégien. Blessé à l’épaule, il est aujourd’hui l'un des rares rescapés de la fusillade.
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Des corps sans vie sur le rivage de l'île Utoya. Capture d'écran issue de cette vidéo YouTube.
Adrian Pracon fait parti des nombreux jeunes qui s’étaient rendus sur l’île norvégienne d’Utoya pour assister au camp d’été du Parti travailliste norvégien. Blessé à l’épaule, il est aujourd’hui l'un des rares rescapés de la fusillade.
Agé de 32 ans, Anders Behring Breivik, un Norvégien proche de l'extrême-droite, a reconnu être le responsable du carnage qui a fait 76 morts vendredi, en Norvège, sans pour autant plaider coupable. Il est soupçonné d'avoir planifié l'attentat à la bombe perpétré à proximité du siège du gouvernement et d'être l'auteur de la fusillade dans le camp d'été de jeunes adhérents du Parti travailliste, sur l'île d'Utoya située à une vingtaine de kilomètres d’Oslo. Après sa comparution à huis clos devant la justice ce lundi, il a été placé en détention provisoire pour huit semaines au moins, dont quatre en isolement total.
Le suspect affirme avoir agi de façon "cruelle" mais parce que "c’était nécessaire". Ses actes devaient permettre, selon lui, de combattre l'immigration et d’empêcher la diffusion de l'islam.
"J’ai essayé de m’enfuir par la plage, mais à cause du poids de mes habits, j'ai failli me noyer"
Adrian Pracon était sur l’île pour la réunion des jeunes du Parti travailliste.
Sur l’île, nous étions tous très choqués par l’attaque qui venait de viser le siège du gouvernement à Oslo. Beaucoup d’entre nous connaissaient des personnes qui travaillaient dans cet endroit. J’ai entendu que des policiers allaient arriver sur l’île pour nous tenir informés de ce qui s’était passé et nous donner les règles de sécurité à suivre.
Moi, je suis monté dans une épicerie en haut de la côte pour aller acheter des provisions. De là, j’ai entendu les premiers tirs. Je n’ai appris qu’un peu plus tard qu’une personne déguisée en policier [Anders Behring Breivik] avait demandé à tout le monde de se rassembler autour de lui. Il prétendait vouloir les informer sur ce qui s’était passé. Puis, il a sorti son arme et tiré sur le groupe.
De là où j’étais, je voyais les gens courir dans tous les sens. J’ai essayé de partir me réfugier dans les bois. En regardant en arrière, je voyais qu’il tirait sur tout le monde. Il allait chercher les gens qui se refugiaient dans les tentes du campement. Quand il a estimé qu’il avait terminé, il s’est dirigé vers les bois où je me trouvais. J’ai alors couru vers la plage pour me jeter dans l’eau glaciale. J’étais tout habillé.
"Il a baissé son arme et m’a laissé partir"
L’autre île était à près de 800 mètres. À cause du poids de mes habits, j'ai failli me noyer. J’ai donc fait le choix de revenir vers le rivage. Je voyais les balles transpercer l’eau. Parfois, quand il arrivait à toucher quelqu'un, l’eau devenait rouge en sang. Je suis arrivé sur les rochers. À cet instant, je n’étais plus qu’à une quinzaine de mètres de lui. Il m’a regardé, a pointé son arme vers moi. Je l’ai supplié de ne pas tirer. Puis, il a baissé son arme et m’a laissé partir. Ce que j’ai ressenti sur le moment était très étrange. Il m’avait épargné.
Il est reparti pour aller tirer ailleurs. J’étais frigorifié et en état de choc. À ce moment, des rescapés se sont regroupés autour de moi. On était environ 25. Puis il est revenu et a recommencé à tirer. Sur tous les gens qui étaient là, seules trois personnes ont survécu. Allongés sur les rochers au milieu des corps sans vie, nous faisions les morts. Il est passé juste à côté de nous en donnant des coups de pied dans les corps pour voir s’ils étaient en vie. J’entendais le bruit de ses bottes à quelques mètres de moi et j’entendais son souffle. Puis il a rechargé son arme et m’a tiré dans l’épaule. Sur le moment, je n’ai presque rien senti. J’ai une fois de plus eu de la chance car je suis sûr qu’il voulait viser la tête. Ensuite, il est reparti.
Les premiers secours sont arrivés. Une fille à côté de moi avait reçu une balle dans la jambe. On a été transporté sur le continent par bateau. Sur le trajet, on essayait de limiter nos saignements. Puis j’ai été pris en charge à l’hôpital. J’y suis toujours. La douleur physique n’est rien par rapport à la douleur psychologique. Je m’apprête à l’instant à rencontrer les autres survivants présents dans l’hôpital. Je ne les ai pas vus depuis le drame."
Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.