Bahreïn

Les troupes saoudiennes quittent discrètement le Bahreïn

C’est en grande pompe que les troupes du Conseil de coopération du Golfe (CCG) dirigées par l’Arabie saoudite sont entrées au Bahreïn dans la nuit du 13 au 14 mars 2011 pour aider la police locale à réprimer les manifestations hostiles au régime. C’est en revanche dans le plus grand secret qu’elles repartent aujourd’hui, leur mission accomplie.

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C’est en grande pompe que les troupes du Conseil de coopération du Golfe (CCG) dirigées par l’Arabie saoudite sont entrées au Bahreïn dans la nuit du 13 au 14 mars 2011 pour aider la police locale à réprimer les manifestations hostiles au régime. C’est en revanche dans le plus grand secret qu’elles repartent aujourd’hui, leur mission accomplie.

 

Le Bahreïn est une petite monarchie du Golfe gouvernée par la famille sunnite Al-Khalifa. Sa population est estimée à 1,5 million d’habitants, dont 75 % de chiites qui s’estiment victimes de discriminations.

À la suite d'un appel lancé sur Facebook pour manifester le 14 février 2011, des milliers de personnes galvanisées par les révolutions tunisienne et égyptienne s’étaient mobilisées pendant des semaines autour de la place de la Perle, dans la capitale Manama, pour faire valoir leurs revendications politiques et sociales.

 

L’intervention de l’aile militaire du CCG, baptisée "Bouclier de la péninsule", était censée "préserver la sécurité" du Bahreïn et mettre un terme aux "intrusions étrangères". Elle a toutefois suscité beaucoup de réactions dans le pays (Voir notre dernier billet) et sur la scène internationale - notamment de l'Iran - et scellé le sort des manifestants [le monument situé au centre de la place de la Perle, épicentre de la contestation, a été détruit par les bulldozers bahreinis au lendemain de l’intervention des troupes du CCG]. Grâce à l’aide des monarchies arabes voisines, les Al-Khalifa ont pu reprendre les rênes du royaume au terme d’un rude bras de fer avec les manifestants, majoritairement chiites.

 

Aujourd’hui, le monarque Hamad Ben Issa Al-Khalifa tente de tourner la page de la répression. L'un de nos Observateurs, qui a vu les chars saoudiens quitter le pays, revient sur trois mois de présence étrangère.

 

Vidéo montrant le retrait des troupes saoudiennes. Publiée sur YouTube.

"Depuis l’intervention de l’Arabie saoudite au Bahreïn, nous avons le sentiment d’être un pays sous tutelle"

Younes M. (pseudonyme) est un militant du Centre bahreïni pour les droits de l’Homme (Bahrain Center for Human Rights).

 

De nombreux témoins m’ont parlé lundi du retrait des forces du 'Bouclier de la péninsule' et de leur retour en Arabie saoudite. Je me suis donc rendu mardi soir près de l’autoroute qui conduit vers le pays et j’ai effectivement vu des camions transporter des chars et des camions militaires sur la route qui mène vers le royaume wahabite.

 

Il est curieux de constater combien les conditions du retrait des troupes saoudiennes diffèrent de celles de leur arrivée. Lorsque les forces du 'Bouclier de la péninsule' sont entrées au Bahreïn à la mi-mars, elles sont arrivées en plein jour, en déployant les drapeaux saoudiens. Même la télé bahreïnie officielle avait couvert l’évènement. Aujourd’hui, elles repartent en pleine nuit, en catimini, alors qu’officiellement l’Arabie saoudite parle de repositionnement des troupes en évoquant un danger toujours présent. Ces forces armées ont certes rempli leur mission non avouée qui était de réprimer la contestation bahreïnie dans le sang. Au lendemain de l’évacuation de la place de la Perle, le bilan s'élevait à 20 morts. Mais je considère que ce départ secret est révélateur d’un échec moral, comme s’ils avaient honte de ce qu’ils ont fait subir à la population de notre pays.

 

Les forces du 'Bouclier de la péninsule' ont mené la vie dure aux Bahreïnis pendant trois mois. J’ai été moi-même témoin de scènes d’humiliation au niveau des check-points qu’ils ont dressés un peu partout dans le pays et en particulier dans les villages chiites et là où les habitants ont manifesté contre le régime. Ces soldats cachaient toujours leur visage : peut-être qu’ils craignaient la vengeance des habitants si jamais on les reconnaissait. Ils arrêtaient les gens, leur demandaient de décliner leur nom et de montrer leurs papiers d’identité. Ils voulaient aussi connaître la destination de chacun, son village d’origine, sa confession (chiite ou sunnite). Ils demandaient ensuite à la personne si elle avait participé aux manifestations, fouillaient sa voiture et regardaient même son portable au cas où ils mettraient la main sur des vidéos ou des photos compromettantes. Je sais aussi que dans des hôpitaux, certains médecins, soupçonnés d’être hostiles à la monarchie, ont été arrêtés.

 

Depuis l’intervention de l’Arabie saoudite au Bahreïn, nous avons le sentiment d’être un pays sous tutelle. Evidemment, tout le monde connaissait l’influence du royaume wahabite sur la politique de notre pays. Mais avec ce passage à l’acte militaire, nous avons l’impression d’avoir totalement perdu notre souveraineté."

Billet rédigé en collaboration avec Sarra Grira, journaliste à FRANCE 24.