Le mystère des documents du 36 rue Botzaris
Des documents confidentiels de l’ancien parti présidentiel tunisien, le RCD, ont été retrouvés il y a quelques jours dans un bâtiment occupé par des migrants à Paris. Ces papiers, dont seule une infime partie a pu être consultée par les journalistes, nourrissent convoitises et interrogations.
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Capture d'écran d'une vidéo publiée par @MsTeshi montrant une photo retrouvée dans la cave du 36, rue Botzaris.
Des documents confidentiels de l’ancien parti présidentiel tunisien, le RCD, ont été retrouvés il y a quelques jours dans un bâtiment occupé par des migrants à Paris. Ces papiers, dont seule une infime partie a pu être consultée par les journalistes, nourrissent convoitises et interrogations.
Depuis deux mois, des milliers de migrants tunisiens clandestins sont arrivés en France en passant par l’Italie. Une soixantaine de ces migrants avait investi le local du 36, rue Botzaris à Paris dans le 19e arrondissement, le siège de l’ancien parti présidentiel, le RCD et du RETAP (Rassemblement des étudiants tunisiens à Paris), association proche du pouvoir.
Dans la cave de ce bâtiment, ses occupants ont découvert des piles de documents officiels. Les rumeurs ont commencé à circuler sur la nature de ces papiers, chèques et matériels informatiques qui venaient d’être mis à jour. Une partie de ces documents a été récupérée, le 15 juin, par Soumaya Taboubi, une avocate franco-tunisienne, et Ali Gargouri, un militant tunisien. Le lendemain, à 6h du matin, la police française investissait les locaux du 36, rue Botzaris, forçant les migrants tunisiens à quitter les lieux, sans même leur donner le temps de ramasser leurs affaires. Une militante sur place lors de l’évacuation, qui préfère garder l’anonymat, s’étonne de ce hasard de calendrier : "c’est tout de même un drôle de hasard: le ministre de l’Intérieur tunisien, un ancien proche de Ben Ali, était en visite à Paris le jour où une partie de ces documents a été emportée par des militants, sans que personne ne s’y oppose. Et le lendemain, il y a cette descente de police qui met tout le monde dehors…".
Les locaux sont désormais interdits d’accès, de même que les documents que renferment leurs sous-sols. Et Soumaya Taboubi et Ali Gargouri refusent de communiquer aux journalistes les éléments qu’ils sont parvenus à récupérer. Les journalistes s’interrogent donc plus que jamais sur les secrets que renferment, ou pas, les mystérieux documents du 36, rue Botzaris.
Vidéo filmée à l'intérieur de l'une des caves du 36, rue Botzaris par @MsTeshi et publiée sur ce site.
Une avocate et un militant tunisiens récupèrent un tiers des documents
C’est Lazhar Toumi, un militant tunisien, qui affirme avoir fait appel aux services de maître Taboubi. Il est à la tête d’un collectif, le CTF (Collectif des Tunisiens en France), créé au lendemain de l’arrivée des migrants tunisiens en France. Il explique qu’il disposait d’un "accord oral" de l’ambassade tunisienne pour s’occuper des migrants et gérer le lieu en attendant de leur trouver une solution définitive. La chargée des relations presse de l’ambassade dément : "Nous avons été contactés par un nombre incalculable d’associations. Pourquoi aurions-nous donné le feu vert à celle-ci plutôt qu’à une autre ?"
Kamel Weriemi, un miliant du CTF, a expliqué à FRANCE 24 qu'ils avaient "constaté que des documents importants commençaient à filtrer et nous avons mesuré le risque que cela représentait si ces archives tombaient entre des mains irresponsables ou mal intentionnées. C’est pour cela que nous avons décidé d’agir : nous nous sommes adressés à plusieurs avocats, dont Me Soumaya Taboubi, et nous leur avons demandé de nous aider à mettre ces archives en sécurité".
FRANCE 24 a également contacté Ali Gargouri (@Ooouups sur Twitter), le militant qui accompagnait l’avocate lors de la récupération des documents. Ce dernier se présente comme militant indépendant. Il affirme n’être pas particulièrement proche du CTF. Contrairement à l'avocate Soumaya Taboubi, il affirme que lui et le CTF ne bénéficiaient d’aucun accord de la part de l’ambassade pour saisir les documents de la rue Botzaris. Il affirme que c’est lui qui est actuellement en possession des documents, mais qu’il n’en révèlera le contenu "qu’une fois réglé le problème des migrants." Il a toutefois accepté de nous livrer une vague description de leur contenu : "Il s’agit en grande partie de rapports rédigés sur d’anciens opposants à Paris, des personnes qui étaient sous surveillance du temps de Ben Ali et dont on a détruit la vie. Il y a aussi des chèques qui prouvent des malversations financières et des photos. Je n’ai pas eu le temps de tout regarder".
Un disque dur aurait été récupéré par un autre groupe de militants
Pour compliquer encore un peu plus cette affaire, d’autres militants, qui twittent sous les pseudonymes de @MsTeshi et @Paul_da_silva, affirment avoir eux aussi récupéré au 36, rue Botzaris un disque dur contenant des fichiers compromettants. @ Paul_da_silva refuse de laisser les journalistes accéder à ce disque dur "tant que la situation des migrants ne sera pas régularisée". Ce disque dur contient-il vraiment des informations confidentielles sur l’ancien parti au pouvoir en Tunisie ? Une militante qui était sur place lors de sa découverte et qui souhaite rester anonyme, en doute : "je l’ai ouvert et il ne contenait aucun fichier, tout avait déjà été effacé". S’agit-il donc d’un coup de bluff de la part de @MsTeshi et @Paul_da_silva pour faire parler de la cause des migrants ?
La position de l’ambassade, propriétaire des documents
Outre le contenu des documents, ce qui intrigue dans cette affaire, c’est le silence de l’ambassade de Tunisie en France. Le bâtiment du 36, rue Botzaris appartient à l’Etat tunisien. Comment se fait-il alors qu’aucun responsable de l’ambassade n’ait exigé de récupérer ces documents ? "Nous avons procédé à un état des lieux car nous sommes uniquement responsables du bien immobilier, déclare Karima Bardaoui, la chargée des relations presse de l’ambassade. Quant aux documents, on attendait une commission qui devait venir de Tunis pour s’en occuper".
L’identité des personnes qui ont récupéré le tiers de ces archives étant connue, on peut s’étonner que l’ambassade n’ait pas cherché à les récupérer. La réponse de Karima Bardaoui :"Il n’y a rien d’important dans ces documents. Vous pensez que les personnes qui ont quelque chose à se reprocher n’ont rien fait pour récupérer ce qui les intéressait depuis le 14 janvier ? [date de la fuite du président Ben Ali] Cette affaire est montée en épingle par des militants qui sont prêts à tout pour faire parler des migrants."
Ces documents sont-ils vraiment compromettants ? Pour qui ?
FRANCE 24 a retrouvé un Tunisien qui a travaillé dans les locaux du 36 rue Botzaris. Sous couvert d'anonymat, il a déclaré : "Cette cellule du RCD à Paris concentrait la majeure partie de l’activité de l'ancien parti en France. Les documents retrouvés sont principalement des rapports rédigés par des étudiants engagés par le RCD pour espionner des réunions d’opposants à Paris. Il y a aussi sûrement des preuves de détournements d’argent. Le budget géré dans ce bâtiment était de l’ordre de 600 000 euros par an. Or chaque année, le secrétaire général déclarait un déficit de 300 000 euros. Je ne serais pas étonné que les archives retrouvées renferment des preuves de corruption (chèques, fausses factures) des caciques du parti à Paris. Mais tous ces document sont d’avant 2005 : les derniers responsables du lieu ont eu deux semaines pour détruire tous les papiers les concernant avant d’abandonner le local. Certains parlent d’archives qui pourraient révéler des collaborations douteuses, notamment en matière de sécurité, entre la France et le régime de Ben Ali. Sans nier l’existence de telles archives, je pense que c’est plutôt du côté de l’ambassade qu’il faut les chercher. Quant à la collaboration entre le RCD et l'UMP, pas besoin de ces documents, elle est de notoriété publique."
Les militants du CTF et Ali Gargouri affirment qu’une fois les migrants tunisiens de la rue Botzaris régularisés, ils communiqueront les documents à la justice tunisienne et aux médias. Affaire à suivre…
Article rédigé par Sarra Grira, journaliste à FRANCE 24.