RUSSIE

Des soldats russes nourris avec de la pâtée pour chiens

 Un officier russe a publié sur le Net les photos de conserves pour chiens qui, selon lui, seraient données à manger aux troupes du ministère de l'Intérieur (MVD), présentées comme du ragoût de bœuf.

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Sur la gauche, deux boîtes de ragoût de bœuf, sur la droite, deux boîtes de nourriture pour chiens. En realité, seule l'étiquette change... Une photo fournie par Igor Matveyev.

 

Un officier russe a publié sur le Net les photos de conserves pour chiens qui, selon lui, seraient données à manger aux troupes du ministère de l'Intérieur (MVD), présentées comme du ragoût de bœuf.

  

La personne qui a osé tirer la sonnette d'alarme - une exception dans les forces de sécurité - est Igor Matveyev, un ancien membre des MVD. Il affirme que de la nourriture pour chiens a été servie aux soldats pendant plusieurs mois dans sa base de Vladivostok. L'objectif était d'économiser de l'argent. Une vidéo qu'il a mis en ligne début mai, tournée dans l'entrepôt de nourriture de la base, montre des boîtes d'aliments pour chiens recouvertes d'étiquettes les faisant passer pour du "bœuf de qualité supérieure".

  

Les forces de sécurité russes ont une longue histoire de problèmes financiers et de corruption. Actuellement, des réformes impopulaires visent à restructurer leur structure hiérarchique obsolète.

 

 

Vidéo tournée dans la base du MVD, à Vladivostok. La personne qui filme dit en russe : "Nous sommes le 19 avril 2011. Hier, nous avons découvert que nos conserves de viande étaient remplacées par de la nourriture pour chiens". Elle poursuit en expliquant que, selon la comptabilité, il devrait y avoir 13 800 boîtes enregistrées dans le magasin, dont 4 485 kg de viande. En réalité, dit-il, 1 374 boîtes ont dépassé leur date de péremption, 3 111 sont de la nourriture pour chiens et il n'y a dans cet entrepôt aucune viande comestible. Il montre ensuite une boîte dont l'emballage se détache et révèle une étiquette de nourriture pour chiens.

 

Une autre vidéo (ci-dessous) montre des bâtiments militaires présentés comme servant de logements à 18 travailleurs clandestins asiatiques. Selon l'ancien officier, les travailleurs semblent être coréens ou chinois et auraient été employés illégalement, pendant plus d'un mois, pour des travaux de nettoyage et de construction sur la base de Vladivostok.

 

 

Une personne du ministère de l'Intérieur, citée par les agences de presse officielles russes, a confirmé que les incidents dénoncés par Matveyev avaient bien eu lieu. Mais ils auraient été réglés depuis longtemps et une enquête serait déjà en cours. Toutefois, Matveyev persiste et signe, affirmant qu' il n'en est rien, qu'il a essayé de signaler ces incidents à ses supérieurs mais qu'il a été ignoré à plusieurs reprises.

 

L'ancien officier dit avoir été démis de ses fonctions après avoir enregistré et publié sur Internet une vidéo dans laquelle il dénonce la corruption généralisée et demandé l'intervention du président Dmitri Medvedev et du Premier ministre Vladimir Poutine. Le 30 mai, il a été officiellement accusé d'avoir battu un jeune soldat. Une procédure judiciaire considérée par ses partisans comme une tentative de le faire taire. Il encourt jusqu'à dix ans de prison.

 

Ce n'est pas la première fois qu'Igor Matveyev alerte l'opinion publique sur des anomalies au sein du ministère de l'Intérieur. En 2003, il avait aidé un journaliste russe à révéler un "marché aux esclaves" organisé par des officiers militaires à Khabarovsk (extrême-orient russe). Les commandants louaient les services de soldats comme main-d'œuvre dans différentes entreprises, sans les payer, l'argent revenant aux commandants. Après avoir dénoncé cette pratique, Igor Matveyev avait fait l'objet d'une enquête pénale, avant d'être "démissionné" de son poste et considéré comme mentalement instable. Deux ans plus tard, il avait toutefois été réintégré sous la pression du Conseil de l'Europe.

 

 

Une autre photo de la nourriture pour chiens publiée initialement ici par Igor Matveyev.

 

 

 

Igor Matveyev dénonce d'autres abus

 

Dans son allocution vidéo aux autorités russes, Matveyev accuse également des agents du MVD de Vladivostok de vendre illégalement des biens de la base. Selon lui, la voiture sous la photo ci-dessous serait en cours de chargement avec des équipements de la base militaire.

 

 

Il soutient également que des taxis entreraient régulièrement dans la base sans surveillance - ce qui va à l'encontre de toutes les règles élémentaires de sécurité.

 

 

"Si cette nourriture pour chiens est réellement achetée pour les chiens de la base, alors pourquoi en acheter 3 000 boîtes ?"

Valentina Reshetkina est responsable du Comité des mères de soldats de Russie, un groupe qui s'emploie à dénoncer les abus au sein de l'armée russe.

 

Il n'y a pas d'antenne de notre association à Vladivostok. Nous avons donc essayé de prendre en charge à distance la défense de l'officier Matveyev. L'un de mes collègues lui a trouvé un avocat et deux ONG basées à Moscou paient ses frais juridiques. Son avocat défend également deux autres officiers qui ont soutenu Igor Matveyev et se sont élevés contre la situation scandaleuse dans les casernes du ministère de l'Intérieur, dans l'est du pays.

  

Nous connaissons l'officier Matveyev depuis de nombreuses années. Nous avons commencé à travailler avec lui quand il enquêtait sur l'esclavage parmis les soldats en 2003. À l'époque, les autorités avaient déjà essayé de le réduire au silence.

 

Je crois que tout ce que rapporte Matveyev est vrai. Si cette nourriture pour chiens est réellement achetée pour les chiens de la base, comme ses responsables l'ont prétendu à un moment donné, pourquoi en acheter 3 000 boîtes ? Et pourquoi s'embêter à coller des fausses étiquettes ? Il n'y a qu'une seule explication : ces boîtes pour chiens sont destinées aux soldats.

  

La deuxième question est de savoir qui embauche des citoyens étrangers à l'intérieur des casernes militaires. Les civils ne sont jamais censés être autorisés à entrer dans des bases militaires sans aucun contrôle. Une mère peut à peine rendre visite à son fils soldat, sans parler des ONG qui ne peuvent pas y mettre les pieds. Pourtant, dans ce cas, tout un groupes d'étrangers vivait au cœur d'une caserne ! Quelque chose ne va vraiment pas."

Billet rédigé en collaboration avec Ostap Karmodi, journaliste.