Tchernobyl, la destination touristique qui explose
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Vingt-cinq ans après la catastrophe de Tchernobyl, la centrale nucléaire, plantée dans un décor de science-fiction, est devenue une destination touristique comme les autres. Ou presque.
La centrale de Tchernobyl. Photo prise par un touriste en 2008 et postée sur ce forum.
Vingt-cinq ans après la catastrophe de Tchernobyl, la centrale nucléaire, plantée dans un décor de science-fiction, est devenue une destination touristique comme les autres. Ou presque.
Le 26 avril 1986, le cœur du réacteur 4 de la centrale nucléaire, située à 15 km de la ville de Tchernobyl et à 110 km de la capitale ukrainienne Kiev, entrait en fusion à la suite d’une série de dysfonctionnements. Les deux explosions et l’incendie qui ont suivi ont projeté dans l’atmosphère une quantité d’éléments radioactifs 200 fois supérieure aux bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945. Après la catastrophe, les autorités ont crée un périmètre de sécurité de 30 km autour de la centrale. Seuls les 3 000 ouvriers chargés de la surveillance de la centrale, dont le dernier réacteur a été fermé en 2000, peuvent accéder au site.
Mais depuis que certaines zones ont été décontaminées, des agences spécialisées basées à Kiev proposent, avec l’accord des autorités, un voyage d’une journée dans ce fameux périmètre de sécurité. Pour environs 110 euros la journée, vous pouvez passer le check-point Dytyatky à l’entrée de la zone, vous pouvez prendre une photo devant le réacteur n°4 à l’origine de la catastrophe, ou encore admirer la "forêt rouge" qui a pris cette couleur incandescente après l’irradiation. En 2010, 7 500 personnes se sont laissées tenter par cette visite hors du commun.
Un rapport de Greenpeace datant de 2006 avance le chiffre de 200 000 décès dus à la contamination sur les quinze dernières années en Biélorussie, en Ukraine et en Russie.
Parmi les principaux éléments contaminants, le césium 137 devrait mettre 300 ans à disparaître de l’environnement. Et la sécurisation de la centrale n’est toujours pas réglée. Après la catastrophe, le réacteur avait été recouvert dans l’urgence d’une chape de béton qui est aujourd’hui fissurée. Les travaux de consolidation de l’enceinte de confinement, dont le financement est en cours de négociation, ne devraient pas être achevés avant 2015.
Souvenirs de voyage à Tchernobyl
Toutes ces photos ont été prises par Jean-Philippe Perron lors d'un voyage à Tchernobyl en septembre 2010 et postées sur son blog, Silphi.
Plus de photos sur sa page Flickr.
"Ce qui est impressionnant c’est de voir à quel point la nature a repris le dessus"
Nicholas Rush-Cooper est chercheur au département de géographie de l’université de Durham. Il écrit actuellement une thèse sur le tourisme dans la zone de Tchernobyl.
J’y suis allé plus de 20 fois entre avril et septembre dernier pour mes recherches. La plupart du temps, je faisais l’aller-retour de Kiev plusieurs fois dans la semaine pour accompagner les groupes de touristes, mais il m’est aussi arrivé de dormir dans le seul "hôtel" de Tchernobyl qui accueille des visiteurs. Il est situé dans une zone qui a été décontaminée après l’explosion. On y croise très peu de monde, essentiellement des ouvriers qui assurent leurs vacations à la centrale ou des scientifiques.
La zone d’exclusion autour de la centrale reste très sécurisée. Pour y pénétrer, nous devons absolument faire partie d’un groupe accompagné d’un guide officiel. La précaution principale consiste à suivre à la lettre les conseils du guide. Certains endroits sont effectivement assez peu radioactifs, c'est-à-dire 2 à 3 fois plus que la normale, mais trois mètres plus loin, vous pouvez vous retrouver avec un taux 1 000 fois supérieure à la normale. Et là, il vaut mieux ne pas toucher le sol ou la végétation. Heureusement, la plupart des visiteurs sont équipés d’un compteur Geiger.
© Nicholas Rush-Cooper
"À 300 mètres du réacteur 4, on ne peut pas rester plus de 10 à 15 minutes sans que ça devienne risqué"
En général, on s’approche à 300 mètres du réacteur en bus pour voir le monument aux morts et prendre une photo devant la centrale. On ne reste pas plus de 10 minutes, sinon la dose de radiation reçue devient dangereuse. Ici le compteur affiche 6.04 micro Sieverts/heure, ce qui est le plus haut taux de radioactivité auquel sera exposé un visiteur pendant la journée. Ça correspond à 30 ou 40 fois le taux de radioctivité de l'air à Kiev.
Ce qui est impressionnant, c’est de voir à quel point la nature [à l’état sauvage depuis l’évacuation] a repris le dessus.
© Nicholas Rush-Cooper
Quand on arrive dans la ville de Pripyat [située à 3 km de la centrale, initialement habitée par les ouvriers du site, elle est déserte depuis la catastrophe], la visite passe par l’hôtel principal. Meme sur le toit, un buisson a poussé. La vue d’en haut est impressionnante, on a l’impression que quelques bâtiments ont poussé dans la nature et non l’inverse. Évidemment, cette végétation est contaminée. On peut s’en approcher un peu, mais manger des fruits serait vraiment dangereux.
© Nicholas Rush-Cooper
"Beaucoup de visiteurs travaillent dans cette industrie"
Les gens qui viennent ont généralement un "lien" avec le nucléaire. Beaucoup de visiteurs travaillent dans cette industrie. Ils viennent avec l’idée que c’est leur devoir de voir de plus prêt ce que peut provoquer cette énergie. D’autres, foncièrement anti-nucléaires, viennent et repartent avec la confirmation de ce qu’ils pensaient.
Il y a aussi les fans de science-fiction qui viennent pour voir un vrai décor désertique à la Mad Max [le troisième film de Mad Max se déroule après une guerre nucléaire] ou comme dans le jeu vidéo "Call of Duty". Mais ceux-là sont déçus parce que la zone d’exclusion est aujourd’hui luxuriante. "
© Nicholas Rush-Cooper
Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.