"Au Yémen, la contestation n’est pas que politique, elle est aussi tribale"
Comme la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Bahreïn, l’Algérie et le Maroc, le Yémen est le théâtre d'un large mouvement de protestation. Mais contrairement au bloc populaire relativement uni que les dirigeants arabes ont dû affronter, la contestation yéménite est beaucoup plus divisée.
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Photo des manifestations du 1er mars à Sanaa. Photo publiée sur Facebook.
Comme la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Bahreïn, l’Algérie et le Maroc, le Yémen est le théâtre d'un mouvement de protestation. Mais contrairement au bloc populaire relativement uni que les dirigeants arabes ont dû affronter, la contestation yéménite est beaucoup plus divisée.
Le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978, a pourtant multiplié les gestes pour amadouer la rue. Début février, il a assuré qu’il ne briguera pas un nouveau mandat en 2013 et que son fils ne se présentera pas non plus à la présidentielle. Le 28 février, il a même proposé de former un gouvernement d’union nationale, proposition aussitôt rejetée par l’opposition. Allié jusque-là de Washington dans sa lutte contre Al-Qaïda, le chef de l'État yéménite a changé son fusil d’épaule en déclarant, le 1er mars, que les révolutions qui secouent le monde arabe sont fomentées par les États-Unis et Israël. Une déclaration qui n’a pas calmé les opposants au régime. Ce même jour, plusieurs dizaines de milliers de mannifestants sont descendus dans la rue pour crier leur hostilité au président Saleh.
"Il suffit maintenant d’une étincelle pour que la situation se transforme en guerre"
Faisal Alshamiry est fonctionnaire. Il vit à Aden, deuxième ville du pays, et a assisté aux manifestations.
La plupart des manifestations, ici, ont lieu assez tard dans la journée à cause de la chaleur. Mais aujourd’hui, exceptionnellement, les manifestants sont sortis dès la matinée, car ils ont décrété la journée de mardi 'jour de colère'.
Les manifestants viennent en grande partie des quartiers pauvres d’Aden. Il y a beaucoup de chômeurs, notamment des jeunes. Comme on le voit sur la vidéo, ils se retrouvent au quartier d’Al-Mansourah, sur la place de la Liberté, où un sit-in est organisé depuis le 20 février.
Vidéo des manifestations le 1er mars, dans le quartier d'Al-Mansourah, à Aden. Vidéo postée sur YouTube.
Le président Ali Abdallah Saleh fait de son mieux pour émouvoir son auditoire lors de ses allocutions, mais sans résultats. De tels gestes auraient pu porter leurs fruits il y a quatre ou cinq mois. Mais avec ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe, les Yéménites ne l’écoutent plus. Tout ce qu’ils veulent, c’est la chute du pouvoir.
"Le Yémen n’est pas un pays stable"
Pourtant, contrairement aux autres pays arabes, au Yémen, il ne s’agit pas simplement d’une bataille entre le peuple et le gouvernement. Ici, la question n’est pas que politique : elle est aussi tribale. Trois principales tribus peuplent le pays : la tribu de Bekil, de Modh’haj et de Hached. Plus que n’importe quel pouvoir politique, c’est aux ordres des 'cheikhs' [les chefs de tribus] que les gens obéissent. Le président est lui-même chef de la tribu de Hached, mais les chefs des principales autres tribus ont pour l’instant choisi de rallier les contestataires. Et l’opposition politique, toutes tendances confondues, s’est quant à elle unie sous une seule bannière, celle de 'La rencontre collective'. Même des membres de la tribu de Hached ont rejoint l’opposition. Je pense qu’il suffit maintenant d’une étincelle pour que la situation se transforme en guerre : au sein même des Hached, mais aussi entre la tribu Hached et les autres tribus.
D’autres facteurs me semblent de mauvais augure. D’abord, le fait que le peuple yéménite est armé [le pays compte 56 armes pour 100 habitants]. Ensuite que ce pays n’est pas stable : il y a une rébellion au nord, menée par les chiites, mais aussi au sud, conduite par des séparatistes. Tout cela me fait craindre un scénario encore pire que celui que vit la Libye en ce moment. Moi tout ce que j’espère, c’est qu’on ne tombera pas dans la guerre civile."
Cet article a été rédigé en collaboration avec Sarra Grira, journaliste à France 24.