FRANCE

Les squatteurs de l'avenue Matignon veulent rester "un caillou dans la chaussure de Sarkozy"

Deux mois après leur installation dans un immeuble vide situé à proximité de l'Élysée, les militants du collectif Jeudi noir attendent de pied ferme leur expulsion immédiate ordonnée par la justice, mardi 15 février. Notre Observateur explique comment il compte ralentir au maximum le travail des policiers. 

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Pancarte "Cachez ce squat que je ne saurais voir" au dessus d'un militant déguisé en Nicolas Sarkozy dans un sac de couchage. Photo de Matjules. 

 

Deux mois après leur installation dans un immeuble vide situé à proximité de l'Élysée, à Paris, les militants du collectif Jeudi noir attendent de pied ferme leur expulsion immédiate ordonnée par la justice, mardi 15 février. Notre Observateur explique comment il compte ralentir au maximum le travail des policiers.

 

“Indigne toit”, “Savoir où dormir pour pouvoir rêver”, “Un toit c’est un droit” : les militants du très dynamique collectif Jeudi noir ont changé de squat mais pas de slogans. Après avoir passés un an place des Vosges, depuis deux mois, ils ont installé leur quartier général dans un autre immeuble vide de Paris, au 22 avenue Matignon, à moins de 300 mètres du siège de la présidence de la République : le palais de l'Élysée. Vide depuis cinq ans, ce bâtiment de prestige de onze niveaux est la propriété du groupe financier Axa. Il abritait auparavant les locaux des assurances Saint-Honoré appartenant à Édouard de Rothschild.

 

La trentaine de militants de Jeudi noir attend désormais qu'un huissier franchisse le cordon de policiers qui encercle l'immeuble où ils sont retranchés pour les informer qu'Axa demande le recours à la force publique pour dégager les lieux. Une intervention des forces de l'ordre à laquelle notre Observateur se prépare activement en se barricadant dans le bâtiment.

 

Vue du toit sur l'Élysée.

 

Vue du toit à 360 degrés sur le profil YouTube de MatJules.

 

 

Le hall d'entrée.

 

Les militants de Jeudi noir mettent régulièrement à jour leur page Facebook depuis leur squat.

 

 

 

Billet écrit en collaboration avec Paul Larrouturou, journaliste.

Parodie de la chanson "Quelqu'un m' a dit", de Carla Bruni-Sarkozy.

 

Un exemple du dialogue difficile entre les policiers qui filtrent l'entrée et les militants-squatteurs qui tentent d'aller se réapprovisionner. Vidéos publiées sur le profil Dailymotion de Jeudi noir.

"J’ai prévenu les Renseignements généraux que nous n’allons pas nous laisser faire"

 

Maxime Hupel est militant du mouvement Jeudi noir. Il habite au 22 avenue Matignon, à Paris, depuis deux mois.

 

J’ai quitté ma Bretagne il y a plus d’un an car Paris concentre beaucoup d’offres d’emploi. J’ai trouvé un travail en une semaine mais pas de logement. Pourtant, j'ai un salaire correct ! Mais sans garant à Paris, vous êtes de fait exclu du marché locatif privé. Alors, c’est la rue, la colloc’ ou le squat…

 

Nous sommes entrés 'en sous-marin' dans ce bâtiment juste après Noël, le 27 décembre. Axa a fait preuve d’une négligence totale : l'immeuble n’était pas fermé. À notre grande surprise, notre présence n’a été remarquée que lorsque nous l’avons revendiquée : le 7 janvier. Nous sommes entrés comme dans un moulin.

 

"L'argument sécuritaire de notre expulsion est bidon"

 

Avant que nous l'occupions, ce bâtiment était vide. Une vidéo de septembre 2010 tournée par l’un des copropriétaires montre bien que n’importe qui pouvait entrer et parvenir sans difficultés sur le toit. Une fois là-haut, toute personne mal intentionnée avec un bazooka ou un fusil aurait pu tuer le président de la République ou les chefs d’État étrangers qui logent à l'Hôtel de Marigny. Nous ne sommes donc pas plus un danger pour Sarkozy ou l’ambassade d’Israël, située à 50 mètres d’ici, que tous les potentiels terroristes qui auraient pu profiter de la négligence d’Axa quand le bâtiment était vide et ouvert à n’importe qui. L’argument sécuritaire de notre expulsion est bidon.

 

Pour nous - cela peut paraître étonnant vu la cohue à l’extérieur -, ce squat nous a apporté de la sérénité. Depuis deux mois, je sais enfin où je vais dormir le soir avec toutes mes petites affaires. Pour nous tous, les vrais galériens, il est impossible de se loger sans enfreindre les lois. Mais le spectre du mal-logement touche tout le monde. Pour la première fois à Matignon, une famille a rejoint les étudiants, les jeunes actifs et les chômeurs considérés comme les squatteurs traditionnels : un couple qui travaille mais n’arrive pas à trouver de logement avec ses deux adolescentes. Et je suis certain que dans le prochain squat, des séniors vont nous rejoindre. Cette situation de crise intime accentue le coté familial du mouvement. Beaucoup de militants qui ont un toit sont venus passer une ou deux nuits avec nous par solidarité. Il ne faut pas nécessairement vivre dans la rue pour combattre le mal-logement.

 

"Nous utilisons les politiques et les médias comme boucliers"

 

À l’intérieur, la vie est plus paisible que place des Vosges, où nous avions beaucoup d’activités. Ici, le blocus policier change les choses. Il faut envoyer à la préfecture une liste de ceux qui peuvent entrer et sortir. Et ils mettent 48 heures à nous répondre. Les policiers ont filtré les duvets et la nourriture de façon arbitraire et, parfois, incompréhensible. Et, sincèrement, certains policiers ne sont vraiment pas malins. Par exemple, une sénatrice socialiste vient souvent boire le café avec nous. Un jour, elle a tendu aux policiers sa carte où est inscrit en gros : 'Parlementaire'. Mais l'un des policiers a refusé de la faire entrer en disant d’un air très péremptoire : 'Désolé madame, seuls les députés et sénateurs peuvent franchir cette porte'. Il a fallu que son chef lui explique, par talkie-walkie, que les parlementaires sont, par définition, députés ou sénateurs. On préfère en rire et s’en amuser, c’est notre façon de militer.

 

Beaucoup d’hommes politiques de l’opposition, de Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) à l'eurodéputée Karima Delli nous soutiennent. Cela ne nous dérange pas, bien au contraire, mais nous restons intransigeants. Pour n'en citer qu'une, nous sommes contents qu'Anne Hidalgo, la première adjointe au maire de Paris, soit venue nous soutenir, ce qui ne nous empêche pas d’être intraitables avec la mairie de Paris pour qu’elle en fasse plus sur la question du logement. Nous utilisons les politiques, tout comme les médias, comme boucliers. Moins il y a de caméras, moins les policiers sont sympas.

 

Notre Observateur a également participé au squat de la Place des Vosges. Photo publiée sur son profil Facebook.

 

Axa aimerait que nous nous fassions dégager tranquillement, à la fraîche, demain (mercredi 16 février) à l'aube. Au début, nous avons pourtant essayé de les ménager. Ils nous ont promis des négociations que nous attendons toujours. Ce sont des 'pipoteurs'. Axa n’a acheté ce bâtiment que pour pouvoir garantir ses emprunts sur les marchés financiers. Ce n’est donc pas du tout de la négligence s'il est vide. Pour eux, c’est normal, ce n’est qu’un 'actif immobilier' ! Alors nous allons tout faire pour écorcher leur image.

 

Tentes sur les toits

 

J’ai prévenu les Renseignements généraux que nous n’allons pas nous laisser faire. Nous allons installer des gars sur le toit, dans des tentes Quechua, comme sur le canal Saint-Martin. À un endroit de ce grand bâtiment, une échelle appuyée contre la porte touche une canalisation d’eau, donc si la police force cette porte, notre squat va devenir une piscine olympique. Nous avons aussi quelques extincteurs aux fenêtres et des portes très lourdes sous la main. On ne compte pas non plus résister arme au poing, ce n’est pas notre politique et nous ne perdrions pas seulement des dents dans la bataille mais aussi l’âme pacifique de Jeudi noir. Nous sommes donc plus dans une logique de ralentissement de l’expulsion, afin de rester le plus longtemps possible un caillou dans la chaussure de Nicolas Sarkozy."

 

 

 

 

"Chambre" et "Balcon" de l'un des squatteurs.

 

Installation d'une banderole sur la façade en face d'Axa, parodiant le slogan de l'entreprise. Vidéo de MatJules.

 

 

Vue de nuit sur la Tour Eiffel.