MONDE ARABE

La révolution tunisienne peut-elle s’exporter en Égypte, en Algérie, en Mauritanie ou en Jordanie ?

 Le scénario tunisien et la chute du président Ben Ali semblent avoir démontré qu’aucun régime, si autoritaire soit-il, n’est à l’abri d’une révolution. Celle-ci va-t-elle s’exporter dans d’autres pays arabes?

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Photo de Julia Sestier, postée sur Flickr.

 

Le scénario tunisien et la chute du président Ben Ali semblent avoir démontré qu’aucun régime, si autoritaire soit-il, n’est à l’abri d’une révolution. Celle-ci va-t-elle s’exporter dans d’autres pays arabes? Les réponses de nos Observateurs dans quatre pays…

 

La révolte tunisienne a fait naître un élan de solidarité à travers tout le monde arabe. Sur Facebook notamment, où des pages ont été créées ("Je suis syrien, je suis tunisien") et où bon nombre d’utilisateurs ont changé leur photo de profil pour la mettre aux couleurs de la Tunisie. Des manifestations de solidarité au peuple tunisien ont également eu lieu au Caire, à Beyrouth et en Cisjordanie. L’expérience tunisienne, tellement inattendue, a marqué les esprits. À tel point que plusieurs personnes se sont immolées ces dernières semaines, à l’instar du jeune homme de Sidi Bouzid. Six Égyptiens, cinq Algériens et un Mauritanien ont ainsi tenté de se donner la mort par le feu.

 

La révolte tunisienne va-t-elle faire tâche d’huile ? C’est la question que nous avons posée à nos Observateurs dans quatre pays arabes.

 

Vous êtes dans un pays arabe que nous n’avons pas abordé dans ce billet ? Votre avis nous intéresse. Publiez-le dans la section commentaires ci-dessous.

 

 

Marche pacifiste à Alger le 13 janvier 2011. Photo postée sur Facebook.

 

Billet écrit en collaboration avec Sarra Grira, journaliste à FRANCE 24.

EGYPTE: "La communauté internationale qui soutient davantage le régime de Moubarak"

Monem Halawa est responsable de la rubrique internationale du journal égyptien "Qatari AL-Sharq".

 

Le succès de la révolution tunisienne a convaincu les Égyptiens que nos dictatures ne sont que des géants aux pieds d’argile. Les conditions de vie en Égypte sont pires qu’en Tunisie : plus de 20 % de taux de chômage, un million et demi d’Égyptiens qui vivent dans des cimetières, un taux de pauvreté très élevé et près de la moitié de la population qui est illettrée. Le fait que des Égyptiens aient tenté de s’immoler devant le siège du gouvernement ou le Parlement montre bien une volonté de transformer aussi, comme en Tunisie, une contestation sociale en une révolte politique.

 

"En Égypte, au contraire, les services de sécurité sont rompus aux méthodes de répression"

 

Cependant, je reste sceptique quant à la possibilité qu’un tel mouvement envahisse rapidement l’Égypte. La superficie du pays fait que les protestations mettront plus de temps et auront plus de mal à atteindre la capitale. De plus, la Tunisie connaissait son premier véritable soulèvement populaire et le pouvoir en place a été pris au dépourvu. En Égypte au contraire, les services de sécurité sont rompus aux méthodes de répression et sont habitués à mater les manifestations. Sans parler de la communauté internationale qui soutient davantage le régime de Moubarak, en raison de la situation stratégique du pays au Moyen-Orient.

 

Je pense tout de même que le modèle tunisien a inspiré les Égyptiens et que, même s’ils ne parviennent pas à provoquer la chute du régime, ils vont essayer d’obtenir un maximum de concessions."

JORDANIE : "Nous n’avons pas cet esprit de révolte qui a caractérise les Tunisiens ou les Égyptiens"

Ezzaldin Shahrorni est Jordanien, il habite à Amman.

 

Je ne pense pas que la révolte tunisienne arrive en Jordanie. La manifestation qui a eu lieu le 14 janvier, après la prière du vendredi, était conduite par quelques leaders islamistes, mais elle n’a pas été très suivie. Des gens ont été attirés par l’effet de foule, mais au bout de deux ou trous heures, c’était fini.

 

"Les Jordaniens ne visent pas plus haut que le Premier ministre, ils ne s’attaquent jamais au Roi"

 

Contrairement à la Tunisie, les Jordaniens n’utilisent pas les réseaux sociaux pour protester, car on n’a pas de sites censurés ici. Quand ils s’attaquent au pouvoir, les Jordaniens ne visent pas plus haut que le Premier ministre, ils ne s’attaquent jamais au roi. Celui-ci a d’ailleurs tout compris et il change souvent de chef de gouvernement, pour donner l’impression qu’il y a du changement dans l’air.

 

La plupart des Jordaniens pensent qu’une partie des problèmes économiques que nous rencontrons est partagée par le reste du monde à cause de la crise, etc. Quant aux autres problèmes, comme les salaires trop bas ou les privilèges dont bénéficient les familles de militaires, ils préfèrent composer avec et essayer de tirer leur épingle du jeu. Nous n’avons pas cet esprit de révolte qui a caractérisé les Tunisiens ou les Égyptiens."

 

 

MAURITANIE : "Nous allons connaître un phénomène similaire à la chute du bloc de l’Est"

Abdallah Ismail est cadre dans une entreprise privée, à Nouakchott.

 

L’effet des évènements en Tunisie est palpable sur les Mauritaniens car nous partageons les mêmes problèmes économiques et sociaux. Nous avons suivi de très près ce qui s’est passé là-bas et j’ai été frappé de voir que même les personnes issues de milieux populaires et qui n’étaient pas du tout politisées se sont senties concernées par ce qui s’est passé.

 

En Mauritanie, il y a une façade de liberté d’expression et de multipartisme, mais le véritable pouvoir est aux mains de l’armée. Cette façade suffit pour l’instant à calmer les ardeurs du peuple. Les manifestations qu’on a connues jusque-là ont été organisées par des étudiants ou des lycéens et ont été très vite dispersées. Les gens se disent que ça ne sert à rien de prendre des risques et ont peur de déclencher des affrontements entre les différentes ethnies.

 

Malgré cela, je reste convaincu que nous connaîtrons un phénomène similaire à la chute du bloc de l’Est. Cela ne va pas se produire tout de suite, mais il y aura, je pense, un effet domino à moyen terme. Les actes de révolte vont se multiplier et le Net s’en fait déjà l’écho."

ALGÉRIE : "Je pense qu’un soulèvement est imminent"

Karim Kia est ingénieur informatique, il vit entre Alger et Paris. Il était sur place au moment des émeutes.

 

Des émeutes en Algérie, il y en a tout le temps depuis des années. Mais c’est quand elles atteignent la capitale que c’est pris en considération, car tout est centralisé à Alger. Quand Bab-el-Oued bouge, c’est l’Algérie qui tremble. Depuis quelques jours, des centaines de camions de police sillonnent certains quartiers de la ville. Les autorités tentent de ralentir le Net et de limiter l’accès à Facebook et Twitter. Même les SMS sont de temps en temps bloqués. Mais je ne crois pas que le renforcement de la sécurité suffise à mater la population, car le mécontentement est général.

"Le pouvoir est personnalisé par Bouteflika, mais il est aussi maintenu, comme en Tunisie, par tout un système"

Ce n’est pas un hasard si les émeutes ont éclaté en Algérie alors que la Tunisie était en pleine effervescence. Il y a évidemment un effet de contagion, d’autant plus qu’il y a déjà en Algérie un terrain favorable à la révolte. Ce qui s’est passé en Tunisie inspire les Algériens et pourrait accélérer les choses. Je pense qu’un soulèvement est imminent. Le président Bouteflika a ordonné l’ouverture d’une enquête sur les conditions de vie des jeunes qui ont tenté de s’immoler et les prix du sucre et de l’huile ont été baissés. Mais ces mesures ne suffisent pas. On a déjà eu droit à des concessions du pouvoir en octobre 1988 (instauration du multipartisme et de la liberté d’expression, changement de la Constitution, etc). Les Algériens en gardent le goût d’une révolution avortée.

En Algérie, le pouvoir est personnalisé par Bouteflika, mais il est aussi maintenu, comme en Tunisie, par tout un système. C’est la DRS (Direction de renseignement et de sécurité) et, à sa tête, le général Toufik qui maintient le pouvoir en place. C’est le démantèlement de ce système qu’appellent les Algériens de leurs vœux. Un appel à manifester le samedi 22 janvier a d’ailleurs été lancé par des cyber-militants à travers toute l’Algérie."