PAKISTAN

La loi sur le blasphème fait une nouvelle victime au Pakistan

 Le ministre chrétien des Minorités chrétiennes Shahbaz Bhatti a été assassiné ce mercredi 2 mars à Islamabad, relançant ainsi le débat sur la loi contre le blasphème au Pakistan.

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Le ministre chrétien des Minorités chrétiennes Shahbaz Bhatti a été assassiné ce mercredi 2 mars à Islamabad. L'homme était l'un des défenseurs de l'amendement appelant à la fin de la peine de mort pour blasphème, déposé en novembre dernier par l'ancien ministre de l'Information, Sherry Rehman. Le 9 novembre 2010, la chrétienne Asia Bibi, ouvrière agricole et mère de cinq enfants est devenue la première femme condamnée à mort pour blasphème.

 

Shahbaz Bhatti se disait régulièrement menacé. Il avait déjà échappé à trois tentatives d'assassinat. Bhatti n'est pas la première victime de ce débat religieux au Pakistan : le 4 Janvier, Salman Taseer, le gouverneur du Pendjab a été abattu par un policier affecté à sa protection en raison de son soutien à l'amendement proposé. Le gouverneur libéral offensait avec son franc-parler les conservateurs religieux de plus en plus puissants dans le pays. Dimanche, de nombreux manifestants brandissaient des banderoles de soutien à son meurtrier.

 

Les articles relatifs aux délits à caractère religieux ont été ajoutés au Code pénal pakistanais sous la présidence de Zia ul-Haq qui a mené une politique d'islamisation dans les années 1980. En 1986, l'outrage au prophète a été qualifié légalement d'infraction pénale passible d'un emprisonnement à vie ou de la peine de mort.

 

Manifestants contre la réforme de la loi sur le blasphème le 9 décembre à Karachi. Vidéo postée sur YouTube par  haroon472.

Billet écrit en collaboration avec Lorena Galliot, journaliste à France 24.

"Notre loi contre le blasphème est absolument essentielle et ne doit pas être amendée"

Raja Islam vit à Karachi. Il travaille dans la gestion des relations clients et alimente un blog de photos.

 

Je ne suis pas religieux à outrance : je porte des jeans, je vais à des fêtes et je n'ai pas de barbe . Pourtant, je pense que notre loi sur le blasphème est absolument essentielle et n'a pas besoin d'être modifiée. Cela touche à un principe fondamental de l'Islam, qui est l'unicité d'Allah et de notre prophète. Insulter le prophète est l'offense la plus grave que l'on puisse commettre contre un musulman. Et selon la Constitution pakistanaise, le châtiment est clair : la mort par pendaison.

 

La majorité des Pakistanais est en faveur de la loi sur le blasphème et serait outrée si elle était modifiée. À Karachi, où j'habite, il y a des bannières et des affiches de soutien à la loi partout. Et la manifestation de lundi a bloqué une grande partie de la ville. Si le gouvernement modifie la loi, les gens vont inévitablement penser qu'il cède à la pression américaine et occidentale. Cela pourrait provoquer la colère, voire la violence.

 

“Salman Taseer avait qualifié notre loi contre le blasphème de "loi obscure”

 

J'ai des amis qui pensent que l'assassinat de Salman Taseer est justifié et soutiennent son meurtrier. Je pense que l'opinion publique est divisée en deux blocs quasi égaux sur cette question. Personnellement, même si je n'étais pas d'accord avec la position du gouverneur, je pense que son garde du corps a eu tort.

 

Cependant, je comprends la colère d'une grande partie des Pakistanais contre Salman Taseer. Il a dit des choses terribles : il a qualifié notre loi contre le blasphème de "loi obscure". Il a ajouté que les gens utilisaient cette loi dans leurs propres intérêts, ce qui n'est pas vrai, ou alors pas plus vrai que pour toutes les autres lois du pays. Si vous voulez changer cette loi pour cette raison, il faudrait toutes les modifier alors!

“Il est trop facile d'accuser n'importe qui de blasphème au Pakistan”

Rizwan est un analyste-planificateur dans les ressources humaines à Karachi.

 

Le problème avec cette loi sur le blasphème n'est pas la loi en elle-même, mais sa mise en œuvre. La façon dont elle est appliquée est totalement subjective. Il ya beaucoup de courants différents de l'islam au Pakistan, et l'interprétation de ce qui offense ou non le prophète varie selon chaque personne. À l'heure actuelle, il est trop facile pour quiconque d'accuser quelqu'un d'autre de blasphème. Et les conséquences de cette accusation sont beaucoup trop graves. Personnellement, je ne pense pas qu'il soit justifié de condamner quelqu'un à mort pour avoir commis un blasphème.

 

Malheureusement, ceux qui sont les plus sensibles au blasphème sont aussi ceux qui ont tendance à se faire justice eux-mêmes. Vous risquez davantage, si vous blasphémez au Pakistan, d'être abattu ou lynché par une foule en colère que de subir un procès.

 

“Si votre nom est Mohammed, est-ce une raison pour accuser quiconque vous insulte de blasphème?”

 

Est-il juste qu'un comédien soit accusé de blasphème pour s'être moqué des fondamentalistes islamistes dans un sketch? Si votre nom est Mohammed, est-ce une raison pour accuser quiconque vous insulte de blasphème? C'est ce qu'a fait un représentant pharmaceutique dont le deuxième prénom est Mohammed, qui a porté plainte contre un médecin ayant jeté sa carte de visite.

 

Le seul crime du gouverneur assassiné Salman Taseer a été de proposer que la loi sur le blasphème soit modifiée. Il a proposé une punition pour l'accusateur au cas où ses allégations se révèleraient sans fondement. Cela aurait permis d'éviter bavures et fausses accusations.

 

Le gouverneur n'a fait que relayer publiquement un projet de  réforme que demandent en privé tous les Pakistanais libéraux. Mais le simple fait de l'avoir mis sur la place publique lui a coûté la vie. Sa mort démontre que le sujet de blasphème est complètement tabou au Pakistan.

Photos de la manifestation du 9 décembre à Karachi

 

 

 

Photos postées sur le profil Flickr de Zaban E. Khalaq.