Témoignage d’Abidjan : "J’ai découvert une lettre dessinée sur ma porte, j’ai eu peur que ce soit plus qu’une intimidation"
Publié le : Modifié le :
Un matin, François (pseudonyme) a découvert la lettre "D", comme dioula, l’ethnie d’Alassane Ouattara, dessinée à la craie blanche sur sa porte d’entrée. La menace était claire : il a donc décidé de quitter sa maison pour se réfugier dans un autre quartier d’Abidjan.
Un de nos Observateurs à Abidjan, SEKA1 a pris cette photo samedi 1er janvier dans le quartier de Niangon, à Yopougon. La personne qui habite cette maison avait, selon lui, quitté son domicile depuis plusieurs jours.
Un matin, François (pseudonyme) a découvert la lettre "D", comme dioula, l’ethnie d’Alassane Ouattara, dessinée à la craie blanche sur sa porte d’entrée. La menace était claire : il a donc décidé de quitter sa maison pour se réfugier dans un autre quartier d’Abidjan.
Cinq semaines après le deuxième tour de l’élection présidentielle, un calme apparent règne à Abidjan. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) entame une nouvelle médiation avec le président sortant Laurent Gbagbo. Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes, a donc décidé, samedi, de reporter l’assaut qu’il voulait lancer sur l’hôtel du Golf, où est toujours retranché Alassane Ouattara.
La tension semble redescendre d’un cran. Pourtant, depuis quelques jours, nos Observateurs rapportent que des maisons sont marquées des lettres "D" et "B" à la craie blanche, ou de croix à la peinture noire. La lettre "D" signifierait dioula, l’ethnie d’Alassane Ouattara, la lettre "B" renverrait à l’ethnie baoulé, à laquelle appartient l’ancien président Henri Konan Bédié, rallié au camp Ouattara.
Dans un communiqué des Nations Unies diffusé jeudi 30 décembre, deux conseillers spéciaux de l’organisation admettent être "extrêmement préoccupés" par des témoignages faisant état de marques distinctives tracées sur les domiciles d’opposants de Laurent Gbagbo. Sans parler de génocide, Francis Deng, conseiller spécial pour la prévention du génocide, et Edward Luck, conseiller du secrétaire général chargé de la protection, ont déclaré que "certains dirigeants incitent à la violence entre divers éléments de la population". Quelques jours plus tôt à Abidjan, le porte-parole de la mission de l’Onuci Hamadoun Touré, a rendu compte d’actes d’intimidation et de violation des droits de l’Homme, incluant "l’identification de maisons marquées de signes distinctifs".
Billet rédigé en collaboration avec Peggy Bruguière, journaliste à France24.
"Ces marques sont surtout dues à des rivalités de voisinage"
Lookman est un de nos Observateurs dans le quartier de Yopugon, à Abidjan.
Là où je vis, à ‘l’entrée’ de Yopougon, il n’y a pas ce type de marquage. J’en ai vu ‘au fond’ de Yopougon, dans des coins pro-Gbagbo où les rivalités entre les deux camps sont exacerbées.
Mais je pense que ces marques sont surtout dues à des rivalités de voisinage, ce n’est pas la préparation d’un génocide ethnique. Je pense que les gens du Sud [Laurent Gbagbo est originaire du sud du pays, ndlr] marquent les maisons pour signifier que si leurs occupants s’enfuient, elles leur reviennent de droit.
De toute façon, ces lettres ou ces signes, sont tracés la nuit et effacés dès le petit matin par les habitants des maisons. Ce n’est pas pour l’instant un phénomène généralisé, mais il est vrai que ce marquage entretient dans certains quartiers un climat de peur et de suspicion."
"Dans mon quartier, ma tête était mise à prix"
François est conseiller municipal dans un quartier d’Abidjan. Durant l’élection présidentielle, il était chargé de la campagne d’Alassane Ouattara dans sa localité.
Il y a environ deux semaines, j’ai découvert que la lettre 'D' avait été dessinée sur la porte d’entrée de ma maison, à la craie blanche. J’ai eu peur que ce soit plus qu’une intimidation.
Avec ma femme et mes deux enfants, j’ai donc décidé de me réfugier chez mon frère à Cocody, une autre commune d'Abidjan, parce que la vie devenait trop dangereuse. Les gens dans mon quartier me connaissent et tout le monde sait que je suis un partisan d’Alassane Ouattara ; je suis donc assimilé à un membre de l’ethnie dioula. Ma tête était mise à prix.
"Quand ces visiteurs nocturnes débarquent, tout le monde dans le quartier se met à taper sur des ustensiles pour les faire fuir"
Depuis plusieurs jours, j’essaie d’entrer en contact avec l’Onuci car je me sens en danger [l’ONUCI a mis en place une ligne verte ouverte 24h/24 aux personnes ayant connaissance de violations des droits de l’Homme ou celles qui en sont victimes, ndlr].
Là où j’habite, des types rôdent en 4x4. Ici, on les appelle les escadrons de la mort. Ils sont armés, encagoulés et habillés tout en noir. Pour l’instant, je n’ai pas entendu parler de morts dans la nuit dans mon quartier. Je pense que la solidarité nous protège : quand ces visiteurs nocturnes débarquent, tout le monde dans le quartier se met à taper sur des ustensiles. On dit que c’est une 'opération casserole’. Tout ce tapage les fait fuir."