HAÏTI

Épidémie de choléra à Haïti : "Notre sauveur nous a contaminés !"

 Depuis le 14 octobre, l'épidémie de choléra qui touche Haïti a fait 2 120 morts. La rumeur qui circulait dans le pays concernant l'origine de cette maladie est aujourd'hui étayée par des épidémiologistes : il est probable que le choléra a été importé par les soldats de l'ONU.  

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Depuis le 14 octobre, l'épidémie de choléra qui touche Haïti a fait 2 120 morts. La rumeur qui circulait dans le pays concernant l'origine de cette maladie est aujourd'hui étayée par des épidémiologistes : il est probable que le choléra a été importé par les soldats de l'ONU.

Selon le rapport du professeur Renaud Piarroux et celui rendu par une équipe de scientifiques américains et haïtiens, la souche de l'épidémie a été importée d'Asie. Celle-ci a démarré aux abords du camp du bataillon népalais de la Minustah, près de Mirebalais, dans le département du Centre, autour du 14 octobre.

Selon le professeur Piarroux, "le choléra s’est propagé de manière explosive du fait de la contamination de l’eau par un déversement d’une quantité phénoménale de matières fécales de patients atteints par la maladie. Il n’est pas impossible de penser que les soldats onusiens aient emporté dans leur bagage la dangereuse bactérie". Elle se serait ensuite propagée jusqu'à la mer le long du fleuve Artibonite. L'épidémie ne serait donc liée ni au séisme ni à une souche environnementale. Une version que l'ONU a catégoriquement démenti par communiqué.

Billet écrit en collaboration avec Paul Larrouturou, journaliste.

"J'ai très peur d'attraper la maladie et d'en mourir"

Louise Lumière (pseudonyme) est étudiante à Mirebalais. Elle essaie de venir en aide aux habitants de la région située au nord de la capitale, Port-au-Prince, pour lutter contre l'épidémie de choléra.

 

Depuis un mois, nous sommes une centaine de jeunes à nous relayer pour essayer de nous rendre utiles. Nous n'avons rien d'autre que notre énergie. À Haïti, il y a vraiment des déchets partout. Alors, nous faisons le tour des villages pour enterrer ceux qui pourraient être contaminés par le choléra ou la malaria. On explique aux gens comment bien manger en faisant très attention au temps de cuisson des aliments. On donne aussi quelques conseils d'hygiène corporelle et vestimentaire.

 

Nous avons déjà tellement souffert avec le séïsme. C'est très très dur ici. Les gens sont en colère. Ils demandent le départ de l'ONU.

 

J'ai moi-même très peur d'attraper la maladie et d'en mourir. Heureusement, deux de mes proches qui ont été contaminés s'en sont sortis. Mais je fais très attention. Je ne mange que chez moi. Je cuisine tout avec un temps de cuisson plus long. Je ne me lave qu'avec de l'eau potable traitée et je ne porte plus aucun vêtement deux jours de suite.

 

Je lance aujourd'hui un appel : on a besoin de gens pour nous aider. Notre e-mail est rjcentre@gmail.com"

 

"Dans un pays aussi vulnérable, une telle épidémie pourrait faire autant de morts que le séisme"

Henri Alphonse est un ancien journaliste qui vit à Mirebalais. Il s'est reconverti dans l'agriculture biologique.

 

Dans un premier temps, fin octobre, nous n'avons pas vraiment fait le lien entre la base de l'ONU et les premiers cas de choléra loin de Mirebalais. On ne savait même pas qu'il s'agissait du choléra car les Haïtiens sont habitués à souffrir de maux intestinaux et respiratoires. Puis, les symptomes n'ont laissé aucun doute sur la maladie et, en recoupant la provenance géographique des malades qui se pressaient dans les hôpitaux de la région, nous avons compris que la maladie se propageait par le fleuve Artibonite.

 

Une première expertise menée par un laboratoire américain à la demande des autorité haïtiennes a conclu à une souche asiatique. Or, le nouveau bataillon de la Minustahest arrivé du Népal en octobre et le maire de Mirebalais a toujours dénoncé les conditions d'hygiène déplorables de la base militaire où ils sont installés. Les toilettes fuient directement dans la rivière Mey. Elle-même débouche dans la rivière LaTombe, qui se jette dans le fleuve Artibonite. Des camions citernes jetaient directement les excréments dans la rivière alors que, plus bas, les Haïtiens utilisent le fleuve comme une source d'eau potable !

 

'Notre sauveur nous contamine !'

 

Évidemment, l'ONU nie catégoriquement. Les casques bleus sont là depuis six ans, c'est à dire depuis le départ du président Aristide. Leur mission est d'éviter l'instabilité politique et de participer à l'effort humanitaire. Dans un État en faillite, l'occupation militaire peut se justifier, compte tenu de la succession de catastrophes naturelles qui frappent le pays. Mais maintenant, notre sauveur nous contamine ! Quand les responsables ne sont pas responsables, il est normal que les gens demandent réparation. Des violences ont éclaté. Les Haïtiens ont manifesté et jeté des pierres à la Minustah, blessant ses soldats. À Cap Haïtien, les affrontements ont fait plusieurs morts du côté des manifestants.

 

Maintenant, il est trop tard. L'épidémie a explosé partout et toutes les conditions sont réunies dans notre pays en ruine pour que le choléra se propage. Les gens sont désespérés et aux abois face à ce fléau invisible. Il sont tellement pauvres qu'ils mangent parfois une fois tous les deux jours. Où voulez-vous qu'ils trouvent l'argent pour mettre du chlore dans l'eau ? Le choléra se développe lentement dans le corps mais, une fois qu'il s'est déclaré, il tue très vite. En trois ou quatre heures, une série de vomissements et de diarrhées vide le corps de toute son eau. Normalement, une piqûre de sérum, des antibiotiques et une alimentation saine suffisent pour guérir. Mais dans les nombreux villages isolés du pays, des centaines de personnes meurent avant d'atteindre les hôpitaux.

 

'Met ko, veye ko' ('Prenons-nous en main')

 

Officiellement, 95 222 personnes ont été contaminées et 2 120 sont mortes du choléra, selon les autorités. Mais ces chiffres sont, je pense, sous-estimés. Il faut les multiplier par trois ou quatre. Selon l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS, cliquez ici pour consulter sa carte interactive de l'épidémie), qui dépend de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 400 000 personnes pourraient être contaminées en un an. Face à cette hécatombe, nous ne pouvons que répéter notre dicton : 'Met ko, veye ko' ('Prenons-nous en main')."

 

 

Les sanitaires à l'arrière de la base logeant le bataillon des Népalais, à 3 ou 4 mètres de la rivière Meille. Photographies prises par nos Observateurs.

 

La rivière Latombe se jette dans le fleuve Artibonite après avoir reçu les eaux de la rivière Meille, contaminée par les excréments  provenant des sanitaires de la base logeant le bataillon népalais.