RUSSIE

Les artistes provocateurs de Voina ont peut-être fait le coup de trop

Deux activistes du collectif artistique russe Voina ont été arrêtés le 15 novembre pour avoir, dans le cadre d’une performance artistique, retourné une voiture de police à Saint-Pétersbourg.  

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Image extraite de la vidéo de la dernière performance du groupe Voina. 

 

Deux activistes du collectif artistique russe Voina ("guerre" en russe, ndlr) ont été arrêtés le 15 novembre pour avoir, dans le cadre d’une performance artistique, retourné une voiture de police à Saint-Pétersbourg. Les explications d’un membre de ce groupe éminemment subversif…

 

Le dernier coup de Voina.

 

La vidéo a été tournée près du Palais Mikhailovsky où l’empereur Paul Ier de Russie avait été assassiné pour ses idées réformatrices, en 1801, après un coup d’Etat.

 

Le 15 novembre dernier, trois artistes de Voina, Natalia Kozlionok, Oleg Vorotnikov et Leonid Nikolayev ont été arrêtés à Moscou dans un appartement où ils se cachaient. Ils sont été transférés le lendemain à Saint-Pétersbourg dans un centre de détention provisoire, où deux d’entre eux sont toujours enfermés. Natalia Kozlionok, que l’on voit sur la vidéo avec un enfant dans les bras, a été libérée quelques heures après son arrestation.

 

Oleg Vorotnikov et Leonid Nikolayev sont aujourd’hui poursuivis pour "action criminelle motivée par une haine politique, raciale, nationale ou religieuse ou par une hostilité envers un groupe social particulier". Une accusation qui peut leur valoir jusqu’à sept ans de prison, alors qu’une inculpation pour hooliganisme n'aurait pu déboucher que sur quelques mois de travail d’intérêt général. Bien qu’actuellement en liberté, Natalia Kozlionok pourrait elle aussi avoir à répondre de ces accusations.

 

Voina est un mouvement artistique qui s’est fait connaître au cours des trois dernières années par des performances publiques très provocatrices. Ses membres, à la fois artistes et militants de gauche, ont par exemple recouvert la façade du Parlement avec un drapeau de pirates. Ils ont aussi érigé un pénis géant devant les quartiers généraux de la police secrète de Saint-Pétersbourg. Jusqu’à présent, ces actions anti-gouvernementales ne semblaient pas fâcher à outre mesure les autorités russes et les artistes avaient toujours réussi à échapper à la prison.

 

En Russie, beaucoup jugent le traitement fait aux artistes trop sévère. Une pétition en ligne appelant à la libération des membres de Voina a été signée par plus de 500 personnes, parmi lesquelles des artistes connus, des journalistes, des écrivains, mais aussi des professeurs d’écoles et des chauffeurs de taxi. Un site Internet a été créé pour faire parler de leur affaire. 

 

 

"Nous nous battons pour mettre fin à la censure, à l’obscurantisme politique et social et contre la droite réactionnaire russe."

Alexey Plutser-Sarno, l’idéologue du groupe selon la justice russe, n’a pas participé à la dernière performance de Voina. Il a toufois déclaré aux médias russes le 26 novembre dernier qu’il avait secrètement fuit la Russie pour l’Estonie. Mais il pourrait aussi s’agir d’un nouveau canular de la part de Plutser… L’artiste s’est déjà exprimé à plusieurs reprises sur les Observateurs.

 

J’ai dû quitter la Russie pour éviter de me faire arrêter. Selon mon avocat, je suis désigné par les enquêteurs, qui agissent sous la houlette du ministère de l’Intérieur, comme l’organisateur et le meneur d’un gang artistique criminel. Je risque 15 ans de prison. Pourtant je suis juste un journaliste et un artiste qui réfléchit aux concepts d’art et de média.

 

Mes deux grand pères ont passé au total 22 ans en prison dans des camps soviétiques. Avant cela, une cinquantaine de membres de ma famille sont morts à Auschwitz. Ce n’est apparemment pas suffisant pour les autorités.

 

Personne n’a jamais été blessé au cours des performances de Voina. Le groupe n’a jamais blessé quelqu’un, même moralement. Nous sommes engagés contre les abus du pouvoir policier en Russie. Nous nous battons pour la liberté de l’art contemporain et les droits de l’homme, mais aussi pour mettre fin à la censure, à l’obscurantisme politique et social et contre la droite réactionnaire russe. Nous donnons à l’artiste une image de héros romantique qui combat le démon. Nous voulons redonner vie à l’art expressif, juste et sincère.

 

Regardons la situation actuelle. Ces trois dernières années, les policiers russes ont commis des centaines de meurtres et des milliers d’autres crimes. Ils sont constamment mêlés à des affaires de corruption ou impliquant le crime organisé. Nous sommes contre la violence et le hooliganisme, surtout quand c’est la police qui s’y adonne.

 

"La police a d’abord estimé le coût de la dégradation à moins de 20 euros"

 

Au cours de la dernière performance, on a détruit seulement une vitre et le gyrophare de la voiture. La police a d’abord estimé le coût de la dégradation à moins de 20 euros. Petit à petit, la somme a augmenté et maintenant la justice réclame l’équivalent du prix d’un véhicule de police.

 

Yuri Samodurov, ancien directeur du centre Sakharov de Moscou, a dit ceci : "cette performance n’est pas un crime. Il s’agit d’une action politique qui exprime notre mécontentement à tous envers la police, notre rejet de ses méthodes et de son cynisme".  A travers cette action, on demande à l’Etat de se réformer pour que les gens n’aient plus peur de la police…

 

"Les prisonniers politiques de Russie se comptent non plus par dizaines, mais par milliers. Il y en aura deux de plus"

 

Les autorités russes sont prêtes à faire n’importe quoi pour éliminer la plus infime des dissidences et la plus marginale des protestations. Les prisonniers politiques de Russie se comptent non plus par dizaines, mais par milliers. Il y en aura deux de plus."

 

Oleg Vorotnikov et Leonid Nikolayev risquent une peine de sept ans de prison. Photo publiée par Plutser. 

 

 

Natalia Kozlionok et son fils. Natalia a été relâchée quelques heures après sa libération le 15 novembre. Photo publiée par Plutser.