CHYPRE

Violents affrontements entre nationalistes chypriotes et travailleurs migrants

Cette vidéo amateur a été tournée vendredi soir lors d'un festival anti-raciste, dans la partie grecque de Chypre, qui a tourné à la bagarre générale.  

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Bagarre générale sur la scène du festival à Larnaca, le vendredi 5 novembre. Entourées de rouge, les chaises que se lancent les deux camps.

 

Cette vidéo amateur a été tournée vendredi soir lors d'un festival anti-raciste, dans la partie grecque de Chypre, qui a tourné à la bagarre générale.

 

Depuis 1974, l'île de Chypre est divisée en deux, avec, au Nord, la République turque de Chypre du Nord (RTCN), reconnue uniquement par Ankara et située à une soixantaine de kilomètres des côtes turques, et, au Sud, la partie grecque, la République de Chypre. Ce vieux conflit géopolitique est notamment attisé par les difficultés de l'État grec à absorber la masse considérable de migrants qui affluent de la partie turque de l'île avec l'espoir de s'installer en Europe. Athènes a d'ailleurs récemment lancé un SOS à l'Union européenne.

"J'ai trouvé la police extrêmement passive"

Marie Martin a assisté à la scène. Elle travaille sur les questions migratoires et est actuellement en vacances à Chypre.

Je suis venue pour assister au festival annuel Arc en ciel organisé par Kisa, une ONG qui travaille avec les migrants. Le festival devait initialement avoir lieu à Limasol, mais cette année les organisateurs ont décidé de l'organiser à Larnaca pour contrer une manifestation nationaliste anti-migrants prévue dans cette ville. Ce festival pour la tolérance et le multiculturalisme se voulait un contre-événement pacifique face à des gens assez violents qui haïssent tous les Chypriotes qui ne sont pas d'origine grecque ou qui contestent le rattachement de Chypre à la Grèce [les organisations à l'origine de la manifestation nationaliste : Greek Resistance Movement, Pancyprian Occupation Movement, Movement for the Salvation of Cyprus].

Nous étions tranquillement installés dans la marina, à côté de la promenade du bord de mer. La police était censée empêcher tout contact avec la manifestation nationaliste qui ne devait pas approcher la scène du festival. L'ambiance était familiale et cosmopolite. C'était une espèce de kermesse avec des danses traditionnelles sri-lankaises en costume, du rock bangladais très marrant et de délicieux stands de nourritures kurdes et philippines. Androulla Kaminara, la représentante de la Commission européenne à Chypre a fait un discours sur l'influence des migrants. Elle disait, en substance, que si tous les migrants partaient de Chypre, le pays ne tournerait plus.

 

C'est alors que nous avons entendu les tambours et vu les drapeaux grecs du cortège nationaliste qui venaient à notre rencontre. Etrangement, c'est le maire de Larnaca qui a insisté pour que les anti-migrants puissent se rapprocher des migrants. Les deux groupes se sont fait face de longues minutes, séparés par les policiers. D'un coté, les gens du festival criaient 'Non aux néo-nazis' regroupés derrière une grande banderole 'Expulsez les fascistes, pas les migrants'. De l'autre, les anti-migrants faisaient pression sur le maigre cordon de police en hurlant des insultes en grec. J'ai trouvé la police extrêmement passive.

 

Les anti-migrants se sont infiltrés pour identifier leurs cibles

 

Ensuite, progressivement, certains nationalistes se sont infiltrés et ont repéré parmi la foule du festival ceux qu'ils voulaient frapper. Je les ai vu envoyer des textos aux autres pour bien identifier leurs cibles : les chypriotes turcs et d'origines arabes. Puis l'un des anti-migrants a réussi à se faufiler jusqu'à la scène et à couper la musique et la lumière, avant de revenir vers son groupe en injuriant copieusement tous les festivaliers. C'est à ce moment là que tout a dégénéré.

 

Course et violence sur la scène du Festival Arc-en-ciel à partir de 5 minutes 40 de cette vidéo postée sur le profil YouTube de l'ONG Pisa.

 

Il y a eu une course vers la scène. Les festivaliers voulaient rallumer la lumière et la musique. Les nationalistes faisaient tout pour les en empêcher. Tout ce qui était à portée de main servait de projectiles : les chaises, des pots de peinture, des graviers puis des pierres. Les nombreux enfants ont paniqué et sont partis loin de leurs parents. J'ai réussi à en abriter quelques-uns dans une camionette protégée par des policiers. À ce moment-là, la violence était des deux côtés. J'ai vu de jeunes garçons d'origine palestinienne submergés par la haine et la violence envoyer des pierres contre les nationalistes , pris dans une engrenage de violence qui en dit long sur les attaques racistes dont ils ont été particulièrement l'objet à Larnaca ces derniers mois.

 

J'ai fini par partir. Je sais qu'un Chypriote turc s’est fait poignarder et se trouve encore à l'hôpital. Et un Bangladais qui ne participait pas au festival, mais était venu retirer de l’argent dans le coin, s’est fait tabasser. Il a été blessé et hospitalisé. Pour leur sécurité, certains migrants ont dû être escortés et évacués par la police. Bizarrement, il n'y a eu aucune arrestation du côté des anti-migrants. Par contre, des migrants ont été interpellés et emmenés au poste de police."

Billet réalisé avec la collaboration de Paul Larrouturou, journaliste.