ARABIE SAOUDITE

Des milliers de Saoudiennes défilent voilées de rose

 Des milliers de femmes qui dessinent un gigantesque ruban rose pour lutter contre le cancer du sein, dans la plupart des pays du monde, c’est un très beau symbole. En Arabie saoudite, c’est un exploit.  

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Des milliers de femmes qui dessinent un gigantesque ruban rose pour lutter contre le cancer du sein, dans la plupart des pays du monde, c’est un très beau symbole. En Arabie saoudite, c’est un exploit.

 

Les Saoudiennes peuvent être fières, elles ont remporté le record du monde du plus grand ruban rose humain, symbole de la lutte contre le cancer du sein. Et ce n’était pas gagné d’avance dans un pays où tout rassemblement est suspect, surtout quand il s’agit de femmes, et qui plus est dans un stade. 

 

Le rendez-vous a été donné, jeudi 28 octobre, au stade du ministère de l’Éducation, dans le quartier d’Al-Rawdah, à Jeddah. Plus de 3 950 Saoudiennes se sont mobilisées pour battre le dernier record du monde détenu par 3 640 Allemandes. Plusieurs organisations ont participé à cet évènement, parmi lesquelles l’association saoudienne "Zahra" de lutte contre le cancer, en partenariat avec la société de cosmétique Avon.  

"Les Saoudiennes parlent peu des problèmes de santé par crainte que leur mari ne les voie comme une 'marchandise endommagée' "

Susie, 57 ans, est une blogueuse d'origine américaine. Mariée à un Saoudien, elle vit depuis près de trois ans à Jeddah, en Arabie saoudite. Elle a participé à l’évènement et posté ces photos sur son blog Susie's Big Adventure.

Le cancer du sein est un véritable problème ici car les femmes n’ont pas le réflexe d’aller chez le docteur et découvrent la maladie à un stade avancé. Les Saoudiennes ont moins tendance à parler ouvertement de leurs problèmes de santé et ne sont pas encouragées à se poser des questions sur les maladies et les traitements. Légalement, elles ont le même statut qu’un enfant et peuvent se voir refuser l’accès aux soins par leur tuteur, en général leur père ou leur mari. Et puis, elles craignent que leur époux ne les voit comme une "marchandise endommagée" et divorce ou prenne une autre femme. La maladie est d’autant plus taboue que ses stigmates peuvent être perçus comme "humiliant ".

 

" Les femmes n’ont pas le droit de conduire, il fallait donc que les participantes soient accompagnées au stade par un homme"

Je ne sais pas si le reste du monde se rend vraiment compte que ce rassemblement est un exploit dans un pays aussi profondément religieux et dominé par les hommes. Ici, les femmes sont généralement cachées derrière un rideau noir en public. Elles ne doivent être ni vues ni entendues.

D’un point de vue logistique, la chance n’était donc pas de notre côté. D’autant que les femmes n’ont pas le droit de conduire. Il fallait donc que la majorité des participantes soit accompagnée au stade par un homme. Et puis, les rassemblements de masse sont vivement découragés. Les hommes et les femmes ne sont pas autorisés à se mélanger dans les espaces publics. Aucun homme n’était donc autorisé dans le stade pendant l’évènement.

 

"Les autorités religieuses étaient dans tous leurs états"

Selon une des organisatrices, les responsables du stade avaient d’abord refusé d’accueillir l’évènement. Mais un coup de téléphone, venu de plus haut, a débloqué la situation. J’ai aussi appris que les autorités religieuses étaient dans tous leurs états (rien de surprenant) en apprenant que des femmes étaient autorisées à se rassembler. Mais chaque objection a été supplantée par un ordre venu de plus haut. Il est vrai que les Saoudiennes n’auraient certainement jamais pu réussir cet événement sans être appuyées par la princesse Rima Bent Bandar, fille du prince Bandar Ben Sulta et son association Zahra de lutte contre le cancer du sein.

 

"Aucune femme n’était venue ici auparavant. Les toilettes à la turque ont dues être remplacées par des toilettes assises"

Je suis arrivée peu après 17h. Les participantes étaient déjà très nombreuses, d’autres arrivaient en flux continu. Nous devions prendre des tickets pour aller retirer nos capes roses. Le stade a été préparé pendant des semaines. Les toilettes à la turque ont été remplacées par des toilettes assises. J’imagine qu’il n’y avait pas de toilettes pour femmes puisque aucune n’était venue ici auparavant.

Il faisait 37°C environ et le taux d’humidité était de 70%. Le stade était rempli. Malgré les mauvaises conditions météo, on était à la fois anxieuse et excitée de se rassembler. Je faisais parti du premier groupe à être compté par les représentants du Guinness des records. Ensuite, nous avons commencé à marcher en suivant les marques au sol, puis on a levé les bras et chanté l’hymne national saoudien. L’atmosphère était très excitante. C’était à la fois grandiose et euphorisant.

 

“J’ai croisé des femmes venues en avion de Riyad juste pour l’évènement"

Certaines n’ont pas pu rester jusqu’au bout à cause de problèmes de transports. Il y avait aussi des expatriés. J’ai même croisé des femmes venues en avion de Riyad juste pour l’évènement. Mais même dans un environnement exclusivement féminin et sous une chaleur harassante, certaines se sont senties obligées de garder leur voile à cause des caméras.

C’est une réussite historique pour le royaume. Ça montre que le pays veut être actif et s’intégrer au monde moderne. C’est aussi la preuve que l’Arabie saoudite ne veut pas être vu comme ce pays étrange et oppressif critiqué ou craint par le monde entier parce que trop mystérieux. Je pense que cet évènement prouve que la famille royale, ainsi que de nombreux Saoudiens, veulent que le pays progresse et ne sont pas effrayés par le changement s’il est positif. Du moins, j’espère avoir raison."

 

Vidéo postée sur YouTube par Didamoona.