EQUATEUR

Témoignage de Quito : "La confusion était telle qu'on a tout de suite cru à un coup d'Etat"

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Un de nos Observateurs à Quito nous a envoyé ce témoignage sur la tentative de putsch policier qui a secoué hier le sommet de l'état équatorien et son président Rafael Correa. Voici son récit des évènements. 

Le contenu de ce billet n'a pas été édité par France 24.

Quentin Ceuppens est journaliste radio à Quito, la capitale de l'Équateur. Il tient le blog Des nouvelles d'Équateur. Il nous a envoyé ce commentaire.

Jeudi 30 octobre, vers 7h du matin, les nouvelles à la radio évoquent une possible grève de la police nationale, généralisée dans l´ensemble du pays. On ne prête qu'une attention relative à l'information et les heures passent. Peu après je me rends compte de la gravité de la situation lorsque, dans les studios de la radio où je travaille, tout s'agite comme si le pays était en guerre civile. Et nous n´en étions pas loin, car aux dernières nouvelles le président Rafael Correa était pris en otage par les membres de la police nationale ! En quelques heures, tout a basculé dans ce que les médias ont immédiatement appelés "le chaos".

 

 

"Comment Rafael Correa a pu croire qu'il ne se jetterait pas directement dans la gueule du loup?"

Le président s'était rendu au petit matin à la caserne de la police nationale à Quito. Le but de sa visite : annoncer aux principaux responsables de la police nationale qu'une loi allait être votée concernant les bonus et avantages octroyés aux gradés de la police nationale. Selon Correa, le fait d´aller directement à la rencontre des policiers pour leur annoncer la nouvelle avait un objectif purement diplomatique. Il s'agissait de leur annoncer la mauvaise nouvelle, tout en se montrant compatissant envers ses "camarades policiers". Comment Rafael Correa a pu croire qu'il ne se jetterait pas directement dans la gueule du loup ? Les tensions étaient déja assez forte pour que quiconque un peu alerte soit conscient qu'une telle visite serait immédiatement comprise comme une provocation. Alors, naïveté ou recherche délibérée d'image médiatique, ce qui est sur c´est que le président a pu bénéficier d´une propagande inouïe dans l´ensemble du pays, et dans le monde.

Dans la matinée donc, le pays était en état de choc. Une nouvelle fois dans l'histoire de l'Equateur, l'absurdité de l'ordre public semblait battre un nouveau record. Les membres de la police nationale, chargés de l'ordre public, et chiens de garde de la démocratie, s'étaient convertis en terroristes et tennaient dans leurs griffe ce même président auquel ils avaient tous jurés allégeance ! Dans les rues, les bruits des claxons et des moteurs mal entretenus ont laissé place aux cris des manifestants venus en masse pour soutenir leur président. En face des civils, des membres de la police, tirant en l'air à balles réelles, et lancant des grenades lacrymogènes dans la foule. Un spectacle que l'on a souvent vu en situation de crise, et pas uniquement en Equateur... Sauf que cette fois-ci, les manifestants n'étaient pas ceux qui lancaient des pierres, mais ceux qui lancaient des grenades lacrymogènes ! Absurdité de l'Equateur ; lorsque la police manifeste, c'est avec l´argent du contribuable à coup de fusils de service, grenades, et autres matériel d´assault destiné à la protection civile. Comment réagir alors lorsque l'ensemble des membres des forces de l´ordre d´un pays attaquent les civils dans les rues et détiennent leur propre président en otage ?

 

 

"La police tue le président ! Le président, c´est le peuple! La police tue le peuple !"

En réponse aux tirs de grenades lacrymogènes, les civils descendus dans la rue brûlaient tout ce qu'ils pouvaient. La fumée d'un feu permet d´apaiser l'athmosphère des gaz asphyxiants. En quelques heures, la plupart des grandes villes du pays ont changées totalement de décors ; une certaine idée de l'apocalypse. "La police tue le président ! Le président, c´est le peuple! La police tue le peuple !" criaient les manifestants civils, lancant des pierres en réponse aux tirs de grenades des policiers. Dans les rues de la ville, plus une voiture ne circulait. Il ne restait de l´ambiance mouvementé du trafic de Quito qu´une série d'incendies sauvages iniciés par des civils en rognes ou des policier en pleine hystérie.

À Quito comme à Guayaquil, des bandes rivales ont immédiatement pris le contrôle des quartiers en débacle. Des banques ont été attaquées, des supermarchés mis à sac, et on ne comptait plus le nombre d´agression dans la rue. Sortir, c´était entrer dans une ville dont l'anarchie était le maître mot. Par la fenêtre de mon bureau, je pouvais voir des gens courir, un sac de riz à la main, ou emmènant carrément les gros frigos sur roulette des supermarchés. À la radio, on entendait nos collègues journalistes, qui venaient à peine de sortir du bureau, crier "ils tirent à balles réelles !", pendant que d´autres rentraient de reportage le nez en sang, racontant comment un policier qu´ils voulaient interviewer leur avait répondu dans le style du moment.

 

 

"Le désordre le plus absurde s'était installé dans les rues"

À la télévision, je vois le président ôter son masque à gaz pour interpeler ses ravisseurs du haut d´une fenêtre de l´hôpital dans lequel il est fait prisonnier. Il les invite d´abord à garder le calme et à cesser les conflits pour commencer les négociations. Les policiers le huent, lui lancent des grenades lacrymogènes et l´insultent. Le sang du président ne fait alors qu´un tour ; il déchire sa cravate, déchire sa chemise et s´écrie, hors de lui, "vous voulez tuer le président ? Eh bien le voici ! Tuez le ! Il est en face de vous !". Il déclarera plus tard l´etat d´exception de la nation en ajoutant "vous pouvez couper toutes les fleurs, le printemps reviendra !".

Pendant ce temps, alors que le désordre le plus absurde s´était installé dans toutes les rues et que le président était toujour pris en otage, on redoutait la position qu'allait prendre l'armée. Les personnes vivant près des casernes s´enfuyaient craignant l'appui de l'armée à la police. Dans ce cas, cette journée aurait pu changer l'histoire du pays. Il faut savoir que les membres de l´armée étaient aussi concernés par cette loi, et donc de près touchés par la même colère que celle des policiers. Il semble qu'ils aient cependant pris le temps de peser le pour et le contre (ou le poids mortel de leur puissance) avant de se ranger du côté de la démocratie.

 

 

La confusion était telle qu´on a tout de suite cru à un coup d´Etat. Selon le président Correa, l´opposition aurrait voulu profiter du désordre total pour instaurer un régime dictatorial par un mécanisme constitutionnel appelé "mort croisée" qui précise qu´en cas de dissolution du congres national, le président serait également démis de ses fonctions. Dans ce schéma précis, le pays aurait été sous la houlette d´un gouvernement provisoire pris entre les feux de l´armée et de la police nationale, une occasion en or d'instaurer un régime dictatorial ou militaire, une sorte de spécialité historique de l´Equateur.

Jeudi soir, vers 20h30, le président était toujours prisonnier, et les manifestants civils, drappés des couleurs présidentielles, continuaient à jeter des pierres sur les policiers en guerre. En jettant un oeil par la fenêtre, j´ai pu apperçevoir une colonne silencieuse de plusieurs dizaines de camions remplis de militaires. Elle restait discrete, comme un serpent énorme à l´affût d´une proie insouciante. Quelques minutes plus tard, l'assault fût donné ; la colonne rugit et ondula jusqu'en face de l'hôpital. Plus de 400 militiares, dont quelques troupes d'élites, tentèrent alors de prendre la place forte où un milliers de policiers étaient encors retranchés.

 

 

"La lutte a été tenace entre les forces de l'ordre et l'armée"

Comme Rafael Correa n'avait pas mâché ses mots en parlant des sanctions qu'il prévoyait pour les policiers incriminés, la lutte a été tenace entre les forces de l´ordre et l´armée. Les policiers acculés ont immédiatement ouvert le feu sur les militaires, qui avancaient lentement mais sûrement vers leur objectif en chantant l'hymne nationale sous leurs boucliers anti-balles. À la télévision, tout était retransmis en direct. On pouvait voir dans les rue un désordre impressionnant : les militaires tirant on ne sait où, se mélangeant à des policiers hagards ou complètement fous, et au milieu de cela quelques civils perdus ne sachant pas où aller. Un policier tombe, premier blessé. Ou est-il mort ? Le caméraman s'approche du corps inerte, et on entend une nouvelle déflagration, cette fois-ci en direction du journaliste. La caméra vacille en direct, puis reprend tant bien que mal du service. Le caméraman, soucieux d´un travail bien fait, avait été touché à l´épaule, mais continuait à filmer la scène. Les combats ont continués trois heures durant. On déplore deux morts et 50 blessés (non civils) selon les dernières estimations de la Croix-Rouge.

Pendant ce temps, grâce aux troupes d´élite de l´armée, le président était déja arrivé au balcon du palais présidentiel pour donner un des discours les plus intenses de son mandat, devant une foule en délire. Avec son style théâtrale des grands jours, il a insisté sur la gravité de la situation et la honte d´avoir vu une telle absurdité en Equateur. "La police nationale, attaquant le président ! Le prennant en otage !" insistait-il en parsemant son discours de quelques "frères policiers" qu´il voulait pourtant aider. Le discours hystérique s´est clôturé par un vaillant hymne national chanté à pleins poumons par ce qui parraissait être le pays entier en choeurs. Un "happy end" digne d´une production hollywoodienne à la sauce latine.

Photos de Quentin Ceuppens

Ce matin, vendredi premier octobre, les rues sont calmes comme un dimanche. Les commerces sont fermés, et le trafic m´a laissé dormir une heure de plus sans m"imposer ses classiques coups de claxons furieux. Les râres véhicules de la police qui passent sont conduits par des militaires, et il n´y a aucun policier dans la rue. Un climat tranquille, trop tranquille pour être sain peut-être. Aux dernières nouvelles, il semblerait que la situation soit complètement rétablie, mais dans les faits, la sécurité dans les rues reste très incertaine."