ESPAGNE

La boîte de nuit "La Mecque" gardera-t-elle son nom ?

En réouvrant la boîte de nuit du nom de "La Mecque", les propriétaires d’une discothèque du sud de l’Espagne ont déclenché la colère des groupes islamistes radicaux. Ces derniers refusent que la ville sainte des musulmans soit associé à un lieu de plaisir. Lire la suite et voir les photos...

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Vue panoramique de la discothèque La Mecque.Photo publiée par Martin le 17 août 2010.

ACTUALISATION 17/09/2010 (15h) : Après d'intenses négociations entre les propriétaires et les représentants des organisations musulmanes de la région de Murcie, la boîte de nuit s'appelera désormais "L'île". Le croissant de lune sur le dôme a été retiré. Le minaret sera lui transformé en phare.

 

En réouvrant la boîte de nuit du nom de "La Mecque", les propriétaires d’une discothèque du sud de l’Espagne ont déclenché la colère des groupes islamistes radicaux. Ces derniers refusent que la ville sainte des musulmans soit associé à un lieu de plaisir.

Au sud de la province de Murcie, à Aguilas, le dôme bleu de la discothèque surmonté d'un croissant de lune  attire les regards. Dans les années 1980, "La Mecque" était déjà un lieu incontournable pour les touristes étrangers en vacances sur la Costa del sol. Puis la boîte de nuit a fermé pendant une dizaine d’années.

Au mois de juin 2010, le complexe ouvre à nouveau ses portes aux estivants en quête de soirées arrosées. Les nouveaux propriétaires cherchent à recruter. Ils prennent contact avec un agent de sécurité sénégalais de confession musulmane, mais celui-ci refuse le poste au motif que le nom de la discothèque n’est pas compatible avec ses croyances religieuses.

En quelques semaines, son refus fait le tour de la Toile. Plusieurs groupes islamistes se disent offensés par le nom de la discothèque et appellent au djihad sur des forums spécialisés. Lundi 13 septembre, le site internet de la discothèque est piraté par un hacker qui réclame le changement immédiat du nom de la boîte de nuit et menace d’une "grande guerre entre l’Espagne et le peuple de l’Islam" en cas de refus. Pour l'heure, les propriétaires s'interrogent sur un éventuel changement de nom ou une modification de l’architecture du bâtiment.

Située à l’ouest de l’Arabie saoudite, La Mecque, ville natale du prophète Mahomet, est la ville sainte la plus sacrée pour les musulmans. Et selon l'un des cinq piliers de l'islam, tout croyant qui en a les moyens doit faire un pèlerinage à La Mecque au cours de sa vie.

Les menaces visant la discothèque "La Mecque"

Lors du piratage informatique du site internet de la discothèque lundi 13 septembre 2010, le pirate a écrit que le nom du local a "attaqué le cœur de tous les musulmans du monde". Il demande également : "Voulez-vous découvrir un beau jour que votre église est devenu un lieu dédié aux animaux d’élevage ou aux ordures ?" Photo publiée sur le site Hespress.

Cette vidéo publiée sur Youtube le 8 septembre 2010 apelle au boycott des intérêts espagnols pour répondre à l'offense faite par la discothèque "La Mecque". La vidéo publie une partie de la sourate Al-Hajj du Coran qui appelle à la "démolition" de tout temple où "le nom de Dieu est prononcé en vain", puis des images de la discothèque barrées d'une croix rouge. La rumeur s’est répandue sur la toile qu’il y avait des versets du Coran reproduits à l’intérieur du complexe. Information démentie lors d’une visite d’un des représentants des organisations musulmanes de Murcie.

Les propriétaires de la discothèque ont lancé sur leur site internet une enquête d'opinion. On peut y lire: "Changerais-tu le nom de la discothèque "La Mecque" ?" Les internautes sont invités à envoyer des propositions.

"Toutes les menaces venant des extrémistes ont été condamnées par les organisations musulmanes de la région "

Paulino Ros est blogueur et journaliste à Murcie où il écrit régulièrement sur la communauté musulmane. Il a été le premier à faire état de cette histoire.

Ce sont des amis qui m’ont parlé du refus de l'agent de sécurité sénégalais de travailler à la discothèque en raison de ses croyances religieuses. J’ai publié le 25 août un billet intitulé " La Mecque : une discothèque devrait-elle porter ce nom ?" avec les réactions de plusieurs organisations musulmanes. Une semaine plus tard, la nouvelle avait fait le tour du monde arabe grâce à l’Internet. Des télévisions aussi importantes que Al Arabiya, la radio iranienne ou encore des agences de presse arabes ont bientôt repris l’information au début du mois de septembre.

Peu de temps après, les propriétaires de la discothèque ont reçu les premières menaces de groupes islamistes radicaux qui réclament un changement de nom. Toutes ces menaces ont été condamnées par les organisations musulmanes de la région, qui ont déclaré rejeter tout ce qui sort du débat démocratique et toutes attitudes violentes, comme l’attaque du site internet de la discothèque.

La discothèque La Mecque. Photo publiée par Assam1 sur Youtube.

Le minaret de la discothèque La Mecque se détache dans la nuit. Photo publiée par Assam1 sur Youtube.

Mais on sent bien un malaise au sein de la communauté musulmane qui doit vivre ici, face à un lieu de plaisir dont le nom et la forme sont liés à l’islam. Il y a vingt ans, nous n’aurions pas eu une telle polémique car il y avait peu de musulmans en Murcie. Aujourd’hui, ils représentent 15 % de la population. Ils viennent du Maroc en majorité mais aussi de l’Afrique sub-saharienne.

Et il existe des divergences d’opinions au sein de cette communauté. Si tous se déclarent opposés à l’utilisation du nom de La Mecque, certains le tolèrent alors que d’autres exigent que les propriétaires changent de nom. Mais des intérêts économiques et touristiques sont aussi en jeu. Plus de 2 millions d’euros ont été investis dans la rénovation du complexe par d’anciens footballeurs associés à un journaliste. Et ils avaient commencé à faire leur pub autour de ce nom-là.

Puis, il y a la question de la liberté dans un pays laïque. Je comprends que pour un musulman certains mots soient fondamentalement importants. Mais il faut qu’il y ait de la tolérance entre les communautés, il ne faut pas imposer des choses aux autres, mais encourager le dialogue pour aboutir à des solutions.

"Certains habitants de la province ont peur aujourd’hui de menaces physiques"

Personne dans la province n’a intérêt à ce que les tensions subsistent. Les propriétaires de la discothèque et certains représentants de la communauté musulmane sont en train de négocier sur le changement du nom du bâtiment. On saura lors de la conférence de presse, prévue vendredi 17 septembre, s’ils sont parvenus à un accord.

Quelle que soit la décision prise, on sait déjà que les groupes islamistes radicaux, organisés sur les réseaux Internet, continueront à récupérer ce type d’informations pour leur propre bénéfice. Ils n’hésiteront pas à polémiquer. Et avec l’immédiateté de l’information rendue possible par Internet ou les chaînes d’informations en continu, les radicaux, bien que minoritaires, peuvent faire beaucoup de dégâts.

Je sais que les services de renseignements espagnols sont très vigilants sur ce type de menace, surtout depuis les attentats de Madrid du 11 mars 2004. Malgré cette surveillance accrue, certains habitants de la province ont peur aujourd’hui de menaces physiques éventuelles. J’ai été insulté à plusieurs reprises par des espagnols en majorité catholiques qui m’ont reproché d’avoir soulevé ce débat. Mais je ne regrette rien, il est de mon devoir d’informer les gens de tout, de façon objective."