Une Palestinienne ose traverser la bande de Gaza à vélo
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À Gaza, les femmes ayant passé la puberté n'ont traditionnellement pas le droit de faire du vélo. Mais samedi dernier, une jeune Palestinienne a décidé de défier ce tabou et a croisé les sourires éclatants – et quelques menaces – des habitants.
À Gaza, les femmes ayant passé la puberté n'ont traditionnellement pas le droit de faire du vélo. Mais samedi dernier, une jeune Palestinienne a décidé de défier ce tabou et a croisé les sourires éclatants – et quelques menaces – des habitants.
Sur un coup de tête, la journaliste palestinienne de 28 ans, Asmaa Alghoul, a décidé de rejoindre trois amis, deux militants des droits de l’Homme italiens et un Américain, pour un tour de Gaza à vélo. Lors d’une chaude journée d’été, les deux hommes et les deux femmes sont partis de la ville de Rafah, à la frontière égyptienne, vers le nord, à Gaza, sur 30 km d’une route côtière. Mais pour Asmaa, le voyage était plus qu’une simple excursion sous le soleil : les femmes qui roulent en bicyclette sont mal vues dans la société gazaouie, et la jeune femme n’avait pas fait dé vélo depuis ses 14 ans.
La plupart des Gazaouis rencontrés par le petit groupe se sont montrés aimables et accueillants, mais aussi très serviables lorsqu'il a fallu réparer des pneus à plat ou une chaîne déraillée. Les cyclistes ont néanmoins rencontré une groupe d’hommes à moto qui leur a rappelé, de manière assez sévère, le rôle domestique auquel les femmes doivent se tenir à Gaza.
Remerciements à notre Observateur à Gaza, Patrick McGrann, qui a pris part à la randonnée à vélo et qui nous a mis en contact avec Asmaa.
Asmaa et son ami italien, Giuseppe.
Faire du vélo à travers la bande de Gaza
Asmaa et ses amis empilent quatre vélos sur un taxi pour aller vers la frontière égyptienne, où leur balade a commencé.
Des policiers du Hamas saluent Asmaa d'un signe de la main.
Les habitants de Rafah se sont arrêtés pour aider Chantal lorsque son vélo a eu un problème technique.
Le même esprit d’entraide à Khan Younis.
Chantal et Giuseppe se reposent à l’ombre d’une maison de Gaza alors que les réparations sont en cours. Selon Patrick McGrann, leur sympathique hôte avait "24 enfants, et au moins autant de sourires".
Une pause sur le bord de la route, après avoir été frappées et s’être fait cracher dessus par des motocyclistes. Toutes les photos ont été postées par Patrick McGrann sur Facebook.
"Un homme a frappé mon amie dans le dos et m’a craché au visage"
Asmaa Alghoul est journaliste à Gaza. Divorcée et indépendante, elle se décrit comme une Palestinienne laïque.
Pour mes amis étrangers, faire du vélo est juste un moyen de transport plaisant, pas un acte politique. Mais à partir du moment où moi, femme palestinienne, j'ai décidé de les rejoindre, la balade a pris une autre dimension.
On ne voit pas de femmes à vélo dans beaucoup de pays musulmans. Ce n’est pas interdit à proprement parler, mais c’est socialement inacceptable. En octobre 2009, le Hamas est allé plus loin et a tout simplement interdit le vélo et la moto aux femmes de Gaza. Il a aussi mis en place d'autres règles très strictes et sexistes qui limitent la liberté des femmes : par exemple, on ne peut plus fumer le narguilé dans les cafés. Je trouve toutes ces règles injustes – stupides, en fait – donc j’ai décidé de faire l’excursion à vélo comme un test, pour voir ce qui allait arriver.
"La plupart des gens que nous avons rencontrés étaient sympathiques et nous ont soutenus"
D’une manière générale, j’ai été agréablement surprise. Je pensais ne pas me rappeler comment faire du vélo après tant d’années, mais au bout de quelques minutes, je fonçais ! J’ai trouvé agréable de constater que, de manière générale, les gens ont réagi de manière très sympathique et nous ont soutenus : ils ont souri ou fait des signes de la main ou nous ont salués en anglais – personne n’a eu l’air particulièrement choqué de voir deux femmes à vélo.
Cependant, deux incidents désagréables se sont produits. Tout d’abord, un groupe de jeunes hommes à moto a commencé à nous suivre – moi et surtout mon amie Chantal. Ils se rapprochaient de plus en plus. Ils ont prétendu être de la police du Hamas, mais je ne les ai pas crus parce qu’ils semblaient bien trop jeunes. ils ne m’ont pas montré leurs papiers d’identité lorsque je leur ai demandé. Je leur ai donc crié de nous laisser tranquilles. Puis, j’ai vu une vraie voiture de police et l’ai arrêtée. J’ai dit aux policiers que ces hommes nous ennuyaient, et la police nous a aidées ! Ils ont dit aux motocyclistes de s’en aller et ils ont été très polis avec nous. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils n’ont fait aucune remarque sur le fait que nous étions des femmes à vélo. Je pense que c’était parce que j’étais avec des étrangers, donc les règles sont un peu plus souples.
Le deuxième incident était encore moins agréable. Là aussi, c’était des hommes à moto. Ils nous ont dépassées, puis sont revenus et nous ont encore croisées. Nous nous sommes arrêtées sur le bord de la route parce qu’ils passaient près de nous très près et très vite. La deuxième fois qu’ils sont passés, l’un d’entre eux a donné un coup de poing dans le dos de Chantal, fort, et m’a craché au visage. J’attendais ce genre de réaction, donc j’ai craché aussi, en réplique. En tant que femme laïque qui ne porte pas le voile, je rencontre souvent ce genre d’attitudes de la part de jeunes hommes.
Dans l’ensemble toutefois, c’était une très bonne expérience. Deux fois, nous avons eu des problèmes techniques, et par deux fois, des familles très conservatrices nous ont offert leur aide et leur hospitalité. Ils se fichaient totalement que je fasse du vélo – bien qu’ils m’aient demandé si je faisais le ramadan !"