EGYPTE

Les Frères musulmans dans la ligne de mire d’un feuilleton égyptien

Le feuilleton "Al Gama’a" (La Confrérie), diffusé depuis le début du ramadan sur la première chaîne égyptienne, attire les critiques de tous bords. Téméraire, l’auteur a choisi de s’attaquer à l’histoire du mouvement des Frères musulmans. Lire la suite...

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Le feuilleton "Al Gama’a" (La Confrérie), diffusé depuis le début du ramadan sur la première chaîne égyptienne, attire les critiques de tous bords. Téméraire, l’auteur a choisi de s’attaquer à l’histoire du mouvement des Frères musulmans.

Les Frères musulmans représentent un mouvement panislamiste fondé par Hassan Al Banna en 1928. La confrérie, qui prône l’instauration de la charia, est aussi connue pour avoir perpétré des attentats contre la classe dirigeante égyptienne, comme l’assassinat du Premier ministre égyptien Mahmud Fahmi Nokrashi en 1948. Les Frères musulmans ont été interdits puis autorisés à plusieurs reprises par le pouvoir égyptien. Bien qu’elle ait officiellement cessé de prôner l’usage de la violence à la fin des années 1970, la confrérie a été déclarée à nouveau illégale en 1982, après l’arrivée au pouvoir de Hosni Moubarak.

Le propre fils du fondateur des Frères musulmans, Seif el-Islam al-Banna, a dénoncé ce feuilleton qui "provoque la colère des partisans des Frères musulmans à travers le monde". Le feuilleton "Al Gama’a" a par ailleurs provoqué un tollé dans la presse égyptienne qui a relevé de multiples erreurs historiques. Le scénariste, Wahid Hamed, assure quant à lui avoir fait preuve d'impartialité et se défend de faire le jeu du pouvoir. "Il s'agit d'une lecture impartiale d'une période de l'histoire de notre pays et de l'histoire d'une formation politique. C'est une vision qui ne cherche pas à condamner les Frères musulmans, mais seulement à présenter des vérités historiques", a-t-il déclaré à l'AFP. Il a en outre défié les Frères musulmans de porter cette affaire devant la justice.

Pour ou contre la série "Al Gama’a" ? Donnez votre avis dans les commentaires.

"La série brise involontairement un tabou autour des Frères musulmans"

Mohamed El Dahshan est économiste au Caire.

Tout le monde sait que l’histoire de la confrérie est bien plus complexe que ce qu’on veut nous faire croire à travers ce feuilleton. L’auteur du film prend un peu les téléspectateurs pour des idiots. La plupart des voix qui se sont élevées contre la série ne défendent pas tant les Frères musulmans qu’elles s’opposent à cette vision simpliste de leur histoire. Mais une mauvaise publicité reste toujours de la publicité et le dénigrement a servi la popularité du mouvement.

Cependant - et sans même l’avoir voulu - Wahid Hamed a, à mon avis, participé à faire disparaître un tabou. Et c’est une bonne chose. Il ne faut pas se voiler la face, les Frères musulmans sont la plus importante force d’opposition en Égypte. Néanmoins, ils sont absents des médias et lorsqu’on parle d’eux dans les journaux, c’est pour les présenter comme un groupe interdit, sans revenir sur leur histoire ou sur leurs revendications. Les députés de la confrérie siègent de toute façon au Parlement [ils ont raflé un cinquième des sièges lors des dernières élections] en passant par des petits partis ou des listes indépendantes. Leur parti est officiellement interdit, mais ces élus défendent haut et fort leur appartenance au mouvement. Je préfère que l’on joue cartes sur table, que l’on reconnaisse leur existence et qu’on leur permette de participer aux élections sous la bannière de leur parti. De toute façon, ils ne remporteront jamais les élections.

Je pense que les laisser dans la clandestinité est plus dangereux que de les intégrer dans le jeu politique. Car en passant pour des victimes, ils s’attirent davantage la sympathie d’une partie de la population. Espérons qu’en poussant les médias à parler des Frères musulmans et à se poser des questions sur l’histoire et l’actualité du mouvement, le feuilleton "Al Gama’a" soit en train de briser un tabou national."

"Ce n’est pas un feuilleton historique, c’est une comédie"

Abdul Monem Mahmoud est un journaliste et un blogueur proche des Frères musulmans.

Ce n’est pas un feuilleton historique, c’est une comédie au contenu pour le moins aberrant. Il y a deux critiques principales à faire à Wahid Hamed : d’abord l’image qu’il donne des autorités égyptiennes, ensuite les données historiques tronquées présentées sur les Frères musulmans.

Concernant les autorités, Wahid Hamed fait dans l’angélisme. À voir son feuilleton, on a l’impression qu’il nous parle d’une équipe de gentilles infirmières bienveillantes. Pourtant, nous connaissons tous les méthodes de la police égyptienne. Je trouve honteux de nous présenter le centre de sécurité de l’État, où j’ai moi-même été détenu et torturé pendant une vingtaine de jours, comme un centre de sinécure. Imaginez un responsable de la police qui demande à ses agents de bien traiter un prisonnier des Frères musulmans et qui va même jusqu’à proposer à ce dernier du thé ou du café ! Même les détracteurs des Frères musulmans ont trouvé cela ridicule.

Concernant les Frères musulmans, c’est un tissu de mensonges. Nous avons nous-mêmes vécu certains des événements montrés dans la série. Le premier épisode par exemple démarre avec les émeutes de 2006, à l’université d’Al Azhar au Caire, qu’il attribue aux dérives violentes du groupe. Nous savons tous que les choses ne se sont pas passées comme ça. Les responsables de ces troubles n’ont rien à voir avec les Frères musulmans mais ce sont des étudiants proches de notre confrérie qui ont été arrêtés. Sans parler de cette obsession de violence qui pousse le réalisateur à montrer les membres du mouvement en train de lancer des cocktails Molotov. C’est ridicule et contraire à la réalité historique ! Tout le monde sait que, depuis leur réhabilitation dans les années 1970, les Frères musulmans ont cessé toute action violente et tout appel à l’usage de la force.

L’objectif de ce feuilleton est de ternir l’image des Frères musulmans à quelques mois des élections parlementaires de cet automne.

Les auteurs du feuilleton se retrouvent au final dans la situation de l’arroseur arrosé. Le tollé que leurs mensonges ont provoqué a, au contraire, donné lieu à une vague de solidarité avec le mouvement."