ROYAUME-UNI

Polémique après l'effacement des fresques d'Irlande du Nord

Les fameuses fresques de Belfast, témoins colorés et controversés du conflit nord-irlandais, sont recouvertes de peinture par les autorités locales. Pour effacer l’histoire ?

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L’une des fresques recouvertes. Photo: Conseil des Arts de l’Irlande du Nord.

Les fameuses fresques de Belfast, témoins colorés et controversés du conflit nord-irlandais, sont recouvertes de peinture par les autorités locales. Pour effacer l’histoire ?

Près de 2000 fresques multi-histoires ornent de nombreux quartiers résidentiels de Belfast. Certaines dépeignent des paramilitaires cagoulés, d’autres commémorent les "martyrs" des deux camps morts au cours d’interventions militaires ou paramilitaires. Ces fresques servaient à démarquer les zones protestantes (loyalistes ou unionistes) et catholiques (nationalistes) et permettaient une forme de communication politique dans un environnement médiatique contrôlé.

Certains soutiennent que ces fresques n’ont pas leur place dans le Belfast pacifique d’aujourd’hui. Selon Dominic Bradley, qui siège au comité Culture, Arts et Loisirs à l’Assemblée nord-irlandaise : "Il est temps que nous effacions tous les aspects paramilitaires de la société, et cela inclut les fresques". Déjà, le projet "Ré-imaginer les Villes" du Conseil des Arts de l’Irlande du Nord a coûté £3.3 million [3.9 millions d’euros] pour se débarrasser des peintures murales.

Toutefois, tout le monde ne veut pas les voir recouvertes. A travers l’Irlande du Nord, les fresques retracent l’histoire du conflit nord-irlandais et certains expliquent qu’elles sont un rappel des dangers d’un retour à la violence. En outre, elles sont devenues une attraction unique sur le circuit touristique à Belfast et font l’objet de visites guidées en bus.

La tradition des fresques en Irlande du Nord est censée avoir commencé dans la zone séparatiste "Free Derry Corner", le cœur nationaliste de Derry, ou Londonderry (ainsi renommé par les corporations de Londres en 1613). La fresque "You Are Now Entering Free Derry" (“Vous entrez maintenant dans le Derry libre”) est apparue après la bataille du Bogside en 1969. Peu après, les slogans tels que "You Are Now Entering Loyalist Sandy Row" (“Vous entrez maintenant dans le loyaliste Sandy Row”) sont apparus à Belfast en représailles.

Une des premières fresques, peinte à Derry dans un quartier qui s’autoproclamait zone autonome nationaliste entre 1969 et 1972, au summum des troubles. Photo postée sur Flickr par "hiddentravel".

Les fresques d’aujourd’hui

L’ABC de la route Shankhill, une des nouvelles fresques, reflète ce que cela signifie de venir de ce quartier. Il y a des souvenirs des fanfares militaires traditionnelles et des équipes de football. Certains n’adhèrent pas avec cette manière numérique de décorer les murs. Crédit Photo : Belfast City Council.

Le "mur international". Postée sur Flickr par "hiddentravel".

Une fresque de la Première Guerre mondiale à la mémoire des hommes de la région qui sont morts pendant la Grande Guerre. Crédit photo : Belfast City Council.

A Derry cependant, où les premières fresques ont été dessinées, le message reste le même. C’est la version contemporaine de l’une des toutes premières fresques, près de ce qui est maintenant appelé le Free Derry Corner. Postée sur Flickr par "hiddentravel".

"Il est temps d'avancer"

Ian McLaughlin est un animateur socio-culturel dans le district Lower Shankhill de Belfast, un quartier à prédominance unioniste. L’association pour laquelle il travaille a effacé 18 fresques au cours de l’année écoulée et en a remplacé 10 d’entre elles.

Il est temps d’avancer. Nous voulons refléter des thèmes qui importent aux gens maintenant.

Il nous a tenu à cœur de demander à la communauté ce qu’elle aimerait voir. Les plus âgés ont proposé des fresques concernant les gens de la région morts dans les guerres mondiales [voir ci-dessous], alors que les plus jeunes ont désigné comme thèmes potentiels les droits de l’Homme, par exemple 'tout enfant a le droit de jouer'. On peut citer une fresque qui est l’ABC de Shankhill [voir ci-dessous] avec une quarantaine d’images sur ce que représente Shankhill pour les résidents qui ont fait des propositions allant de la reine Victoria aux fanfares militaires traditionnelles.

A côté de chaque nouvelle image, il y a une plaque qui montre l’ancienne image. Les milliers de touristes qui suivent les 'visites de la terreur', comme nous les surnommons, peuvent toujours venir et apprendre l’histoire.

Malgré le sabotage des médias locaux, le projet a été somme toute très positif. Les nouvelles fresques n’ont pas été taguées, ce que nous prenons comme un bon signe.

Les fresques soi-disant familiales cependant, à la mémoire d’individus morts dans le conflit, demeurent un sujet sensible. Nous ne pourrons pas les remplacer avant un certain nombre d’années."

Les fresques menacées

Une fresque populaire nationaliste de Bobby Sands, un volontaire de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), mort après une grève de la faim dans la prison de Maze en 1981. Photo postée sur Flickr par chris.bryant (tous droits réservés).

Fresque familiale unioniste. Photo postée sur Flickr par chris.bryant (tous droits réservés).

Slogans unionistes : "L’Ulster restera toujours britannique, pas de capitulation". Photo postée sur Flickr par chris.bryant (tous droits réservés).

Une fresque unioniste d’Oliver Cromwell, le Lord protecteur anglais qui envahit l’Irlande en 1659. Il reste une figure controversée à la fois en Irlande du Nord et en Irlande, où il est largement méprisé. Postée sur Flickr par "hiddentravel".

Une ancienne fresque à Shankhill par Ulster Freedom Fighters (loyalistes). Cette fresque est l’une de celles qui ont maintenant été recouvertes dans le cadre du projet de remplacement. Crédit photo : Conseil des Arts de l’Irlande du Nord.

Une fresque rappelant la dispute Holy Cross de 2001-2002 entre les parents des élèves de l’école primaire catholique qui accompagnaient leurs enfants à travers une zone loyaliste, et les résidents de cette zone. Postée sur Flickr par "seanfderry-studenna".

"Effacer ces fresques, c'est comme raser Auschwitz"

Danny Devenny est un peintre muraliste nationaliste.

Les fresques font partie de notre patrimoine et sont importantes pour que les générations futures et les visiteurs étrangers qui viennent à Belfast comprennent cette histoire. Effacer ces fresques, c’est comme raser Auschwitz.

Les peintures murales sont apparues à un moment où les Britanniques contrôlaient les médias. Nous avions besoin de nous faire entendre alors que les soldats britanniques nous tiraient dessus. C’est un mythe de croire que les peintures démarquaient un territoire. La fresque 'Free Derry Corner' a été peinte après que la police royale de l’Ulster eut assiégé cette communauté. Ce n’était pas hostile. Le message était : 'Nous sommes libres et vous êtes les bienvenus ! Nous ne sommes pas des ogres'.

"C’est insultant que les politiciens disent que la communauté n’a pas eu le choix"

Les fresques reflètent les événements qui se passent dans notre communauté, avec le soutien de cette communauté. Le fait qu’elles ne soient jamais taguées et que les gens me sollicitent dans la rue pour me demander de peindre montre leur importance. C'est insultant que les politiciens disent que la communauté n’a pas eu le choix.

Beaucoup de ces fresques ne représentent plus la division : il y a bien plus qui nous unit. J’ai travaillé avec des peintres unionistes au centre-ville, ce qui montre leur popularité. J’ai peint des fresques sur les thèmes de la joie et du racisme, et il y a aussi le 'mur international' en soutien aux Cubains et aux Palestiniens.

Le projet 'Repenser les communautés' coûte une fortune et certaines images sont juste des images numériques en plastique imprimées et collées sur les murs. Ce n’est pas la tradition de la peinture murale en Irlande du Nord."