NIGERIA

La marée noire permanente dont personne ne parle

Premier producteur de pétrole brut du continent africain, le Nigeria ne compte plus les marées noires qui ont ravagé son delta. Cet ancien sanctuaire écologique est devenu impropre à la pêche, en raison d’un or noir devenu poison.

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Un riverain plonge la main dans l'eau souillée par le pétrole qui fuit des installations Shell d'Ikarama, un des villages les plus pollués du delta du Niger, le 11 juin 2010.

Premier producteur de pétrole brut du continent africain, le Nigeria ne compte plus les marées noires qui ont ravagé son delta. Cet ancien sanctuaire écologique est devenu impropre à la pêche, en raison d’un or noir devenu poison.

En mai, au moment où la fuite dans le golfe du Mexique faisait les gros titres de la presse mondiale, à l’autre bout du monde, une énième rupture d’oléoduc provoquait également une marée noire. Selon Amnesty International, en 50 ans, 9 millions de barils de brut se sont déversés dans le delta du Niger. La marée noire dans le golfe du Mexique est certes plus importante encore - 30 millions de barils se sont déjà échappés du puits de BP - mais la couverture médiatique des deux événements semble tout de même complètement disproportionnée.

Shell Nigeria, la plus importante compagnie pétrolière du pays, est pointée du doigt. Mais elle rétorque que la quasi-totalité des marées noires a été causée par des saboteurs, notamment par les rebelles du Mouvement d'émancipation du delta du Niger (Mend), surnommés les "Robins des Bois" nigérians.

Dans un des pays les plus corrompus du monde, les compagnies étrangères ne sont pas les seules accusées, car l'Etat nigérian est l'actionnaire majoritaire des consortiums locaux. Goodluck Jonathan, le nouveau président, a d’ailleurs promis de mettre fin à cette marée noire permanente.

Fuite d'une installation Shell à Udo Adah Ikot, au Nigeria, en 2008.  

Paysage ravagé dans le village de Peremabiri, le 11 février 2009. 

Une fuite brûle encore le long de l’oléoduc Agip, à Angiama, le 16 avril 2009.

Les habitants du village d'Angiama guident des membres de l'association écologiste Eradication (ERA) dans les marécages pollués, le 16 avril 2009.

Toutes les photos ont été prises par des membres de l'ERA.

"L'Occident ne dit rien depuis 50 ans parce que ces dégâts se passent en Afrique"

Khalifa Dikwa est politologue dans une université du nord-est du Nigeria

Ceux qui sabotent sont des groupes de jeunes inquiets pour leur futur et qui, sous l'influence de la drogue, ne comprennent que la langue des dollars. Ils en sont là parce que les compagnies pétrolières et le Nigeria ne font rien pour protéger l'écosystème et les peuples du delta du Niger. Rien n'est fait pour l'emploi, l'éducation, le traitement de l'eau, les moyens de transport et les communications.

La corruption est partout. Les fonctionnaires, les Nigerians, les étrangers, les ex-ministres, les gouverneurs, les généraux, les chefs traditionnels : tout le monde ! Sans parler des problèmes de kidnapping et de prises d'otage arrangées.

L'Occident n'a rien dit depuis 50 ans parce que ces dégâts se passent en Afrique. Il a toujours supporté n'importe quel diable tant qu'il est prêt à maintenir ses intérêts, notamment le pétrole. La démocratie qu'on copie de l'Amérique est ici source de corruption car on n'a pas encore eu le temps de développer nos infrastructures. Les banques occidentales ne font que protéger les fortunes volées.

Ici, on dit que l'Occident est la mère des 3 D, c'est-à-dire 'disease' (maladie), 'disaster' (désastre) et  'death' (mort)."

"Les déversements de pétrole sont surtout causés par des défaillances de l'équipement"

Nnimmo Bassey est responsable de l'association écologiste Eraction-Les Amis de la terre au Nigeria. Son travail a fait l'objet d'un documentaire en anglais "Poison Fire".

Depuis 1958, l'histoire de l'industrie pétrolière au Nigeria se confond avec celle des marées noires et de la pollution. Il y a en moyenne 300 déversements de pétrole chaque année. Nous avons aujourd'hui 2 400 sites pollués qui n'ont pas été correctement nettoyés.

Je peux citer des dizaines de catastrophes. La plus récente a commencé le 1er mai dernier. Un oléoduc mal entretenu de la compagnie ExxonMobil a rompu dans l'Etat d'Akwa Ibom (sud-est du pays). En une semaine, l'équivalent de 28 570 barils s'est échappé. Et quand des manifestants se sont regroupés autour de la fuite, ils ont été molestés par les membres des services de sécurité de la compagnie.

Nous avons constaté que les déversements de pétrole sont surtout causés par des défaillances de l'équipement et des canalisations rouillées. La plupart des pipelines dans le delta du Niger ont été construits il y a 30 ans et les installations qui ne sont pas enterrées ne sont pas protégées.

Quand les compagnies prétendent que les ruptures sont causées par des actes de sabotage, elles veulent juste se défausser de leur responsabilité. Selon nos chiffres, cela ne représente que 15% des cas. Car quand les milices sabotent, elles l'annoncent clairement.

Le gouvernement n'a pour l'instant pas fait appliquer la loi. Les compagnies comme Shell font par ailleurs un lobbying intense pour éviter un durcissement de la législation, comme c'est envisagé en ce moment. N'oublions pas que toutes ces compagnies travaillent étroitement avec les autorités. Cela leur permet de ne pas être punis pour des crimes environnementaux qui ne seraient pas tolérés en Europe. 

Les dommages causés aux rivières et aux mangroves du delta du Niger ont de graves répercussions sur la pêche. Les stocks de poissons ont été fortement réduits par la pollution. Ceux qui étaient pécheurs hier sont désormais dépendants du poisson importé ! L'une des plus grandes et plus belles mangroves du monde est irréversiblement endommagée. Les marées noires provoquent même des marées rouges d'algues nuisibles.

Alors quand on voit les efforts déployés pour freiner la catastrophe dans le golfe du Mexique, la question qui hante tout le monde ici est : qu'auraient-ils fait si cela s'était passé dans le golfe de Guinée ? Les réponses efficaces et les grosses sommes d'argent destinées à indemniser les victimes sont des choses que l'industrie pétrolière ne fait pas au Nigeria. Nous vivons sur une bombe. C'est horrible."