LIBAN

Une vendetta qui fait des remous

L'ambassadeur du Liban au Caire vient de demander aux autorités égyptiennes d'assurer sa protection, après qu'il a reçu des menaces anonymes par téléphone. Les Libanais d’Égypte vont-ils être les victimes collatérales du sanglant fait divers survenu la semaine dernière dans le village libanais de Ketermaya ? Un Égyptien soupçonné de meurtre avait alors été sauvagement lynché par une foule en colère. Lire la suite…

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L'ambassadeur du Liban au Caire vient de demander aux autorités égyptiennes d'assurer sa protection, après qu'il a reçu des menaces anonymes par téléphone. Les Libanais d’Égypte vont-ils être les victimes collatérales du sanglant fait divers survenu la semaine dernière dans le village libanais de Ketermaya ? Un Égyptien soupçonné de meurtre avait alors été sauvagement lynché par une foule en colère.

Les images sont d’une rare violence, à tel point que France 24 se refuse à les diffuser : jeudi 29 avril, le village libanais de Ketermaya (25 km au sud-est de Beyrouth) enterre une famille de quatre personnes - un grand-père, une grand-mère, et leurs deux petites filles - sauvagement assassinée la veille… lorsque la foule voit arriver la police encadrant Mohamed Moslem, le principal suspect du massacre, pour une reconstitution.

Des centaines de personnes se jettent alors sur lui, le dénudent et le mettent à mort dans des conditions sordides, à coups de poing et de couteau. Son corps est ensuite pendu à un poteau électrique à l’aide d’un croc de boucher. Filmée par des dizaines de téléphones portables sous l’œil apparemment impassible des policiers libanais, la scène a été largement diffusée sur Internet.

Des analyses ADN prouveraient que Mohamed Moslem portait sur sa chemise le sang de ses victimes ; il était, d'autre part, déjà soupçonné du viol d'une adolescente de 13 ans. Pour ses bourreaux, Mohamed Moslem aurait tué la famille parce que le grand-père avait refusé d'intervenir auprès des parents de la jeune fille violée pour qu'elle épouse son agresseur. La loi libanaise prévoit en effet que la peine encourue par un violeur est suspendue si celui-ci épouse sa victime.

Alors que certains médias égyptiens ont défendu Mohamed Moslem et que des menaces sont proférées contre l'ambassadeur du Liban en Égypte, France 24 a demandé à Tarek, un Libanais, et Ismaïl, un Égyptien, quelles conséquences pourrait avoir cette affaire sur les relations entre Beyrouth et Le Caire.

"Les titres de la presse égyptienne ont monté cette affaire en épingle"

Ismail Al Iskandarani est journaliste et membre de milite pour la défense des droits de l'Homme. Il vit à Alexandrie.

Même aux pires criminels, on ne peut souhaiter ce qui est arrivé à Mohamed Moslem à Ketermaya ! 

Le problème, ce sont les manchettes de la presse en Égypte. Certains journaux [Le grand quotidien égyptien Al-Ahram et Al Masry Al Youm par exemple, NDLR] ont titré sur le fait qu’un Égyptien avait été lynché et tué au Liban. Ils ont monté cette affaire en épingle. Ils ont fait une couverture provoquante et racolleuse de l'événement pour quelqu’un qui ne lirait que les titres des journaux. Les Égyptiens qui ont lu toute l’histoire ont compris la douleur des villageois. La victime égyptienne a tout de même tué deux personnes âgées et deux petites filles…

Ce lynchage est aussi le bon moment pour répandre des rumeurs, et certains font par exemple le lien entre ce fait divers et la condamnation de membres du Hezbollah libanais en Égypte. Mais je ne pense pas que ce qui s’est passé se transformera en un conflit entre Libanais et Égyptiens. Mohamed Moslem n’a pas été tué en raison de sa nationalité, mais pour les crimes qu'il est suspecté d'avoir commis. Si c’était arrivé en Algérie ou en Libye, on aurait pu penser que sa nationalité avait joué un rôle. Mais il n’y a pas d’affrontement nationaliste entre le Liban et l’Égypte. Par exemple, la chanteuse libanaise Nancy Ajram a fait une déclaration d’amour à l’Égypte dans l’une de ses chansons, 'Ana Masry' ('Je suis Égyptienne'), qu’on chante ici lors de fêtes, des matchs de football…"

"Les autorités libanaises n’auraient pas dû divulguer le nom du suspect"

Tarek Chemaly est consultant, il vit à Beyrouth.

Je suis contre ce qui s’est passé à Ketermaya. C’est l’application de la loi du Talion. Les gens ont décidé de laisser les lois de côté et se sont fait justice eux-mêmes. L’Égyptien n'était encore que soupçonné du meurtre quand il a été tué !

La police libanaise a une part de responsabilité dans ce qui est arrivé, elle n’a pris aucune précaution en se rendant sur le lieu du crime avec seulement trois ou quatre hommes pour assurer la sécurité de Mohamed Moslem, qui plus est le jour de l’enterrement de ses supposées victimes !

Je pense aussi que les autorités libanaises n’auraient pas dû divulguer son nom. Cela va à l’encontre de sa vie privée, et cela conduit à cette vengeance.

Mais ce qui lui est arrivé n’a rien à voir avec sa nationalité. Les habitants de Ketermaya n’ont pas pensé à cela, j’en suis persuadé. Mais si Mohamed Moslem avait eu des proches dans la localité, les choses auraient pu être différentes.

Bien que ce crime soit odieux, je ne vous cache pas que la rue libanaise est divisée. Il y a ceux qui pensent que Moslem méritait cette mort, puisqu’il aurait lui-aussi torturé ses prétendues victimes. D’autres pensent que c’est intolérable et qu’on ne peut pas se faire justice soi-même car ce genre de cercle vicieux ne s’arrête jamais."