Un festival de heavy metal qui choque les chrétiens

"Hellfest" ("Fête de l’enfer"), le plus grand festival de heavy metal de France, est organisé cette année dans le département de la Loire-Atlantique, au grand dam de la Vendée, son voisin, qui s'y oppose farouchement, dénonçant un festival sataniste. Peut-on laisser des rockeurs appeler à "tuer des chrétiens" et clamer "Satan est mon maître" ?

La polémique a gagné jusqu'aux bancs de l’Assemblée nationale. Jeudi, dans une ambiance survoltée, le député socialiste Patrick Roy a attiré l'attention du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, sur ce festival. Il a dénoncé les prises de position des élus de droite Christine Boutin (Parti chrétien-démocrate, PCD) et Philippe de Villiers (Mouvement pour la France, MPF, droite ultra-conservatrice), qui appellent à interdire ce festival parce qu’il "promeut et véhicule la culture de mort". C'en est trop pour Patrick Roy, qui leur reproche de tenir des "propos d'un autre temps, profondément blessants, violents et diffamatoires [...] qui rappellent les heures sombres de l'histoire européenne".

Le président du MPF et du Conseil général de Vendée, Philippe de Villiers, a été le premier à s’en prendre au festival, le 11 mars dernier, lors d'un meeting en Loire-Atlantique. Pendant son discours, il a expliqué qu’il était opposé à la subvention publique accordée par la région Pays de Loire (dont dépendent les deux départements, NDLR) aux organisateurs du festival, arguant que "nos valeurs ne sont pas celles qui poussent le Conseil régional actuel (présidé par le socialiste Jacques Auxiette, NDLR) à financer un festival sataniste !". Quelques jours plus tard, Christine Boutin, la présidente du PDC, a écrit une lettre au géant de la bière Kronenbourg pour lui demander de ne pas sponsoriser "Hellfest", au motif que ce festival pouvait "influencer négativement des jeunes psychologiquement fragiles, au point de les amener à commettre des actes graves et violents". Les deux élus de droites sont notamment soutenus dans leur campagne par le Centre national des indépendants et paysans (CNI, voir le commentaire plus bas) et le blog chrétien E-deo.

Malgré la résistance des conservateurs, la programmation du "Hellfest" est maintenue du 19 au 21 juin à Clisson, en Loire-Atlantique.

Ambiance au festival Hellfest (édition 2009)

Vidéo postée sur Youtube par Goussedail785

L'un des clips de Marylin Manson, critiqué par le CNI

ATTENTION, CES IMAGES PEUVENT CHOQUER

Vidéo publiée sur YouTube par TheMarilynnmanson666

"C’est uniquement des mises en scènes, du folklore"

Yoann le Nevé, 34 ans, est co-fondateur du festival Hellfest.

Cette polémique autour du festival est le résultat de la pression grandissante exercée par quelques groupuscules catholiques. Ils emploient tous les moyens (médias, relais politiques) pour nous censurer. Et les politiques qui soutiennent les groupes chrétiens, notamment Philippe de Villiers, l’ont fait dans un but électoraliste.

Nos boîtes aux lettres et celles de nos partenaires sont inondées d’e-mails provenant de groupuscules catholiques. Ils nous traitent de tous les mots : nazis, possédés, satanistes…

Certains disent que le groupe KISS, que nous recevons cette année, est un groupe nazi, à cause des lettres 'SS' qui figurent à la fin de son nom. S’ils avaient pris un peu de temps pour se renseigner, ils auraient compris que ce n'est pas vrai : les deux fondateurs du groupe sont de confession juive et l’un d’entre eux, Gene Simmons, a même vécu en Israël.

Ceux qui nous critiquent veulent nous priver de subventions publiques, alors que nous ne recevons que 30 000 euros de la part de la Région et du département cette année. Je trouve qu’il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. Notre budget est de 3,5 millions d'euros, donc ces subventions n'en représentent même pas 1 %.

Ce que nous faisons, c’est du folklore, de la culture. C’est vrai qu’il y a des paroles offensantes, des signes horribles, du gore - comme Alice Cooper qui se fait couper la tête par un échafaud - mais ce ne sont que des mises en scène. On comprend que des gens soient offensés, mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des groupes de metal chrétiens, qui, eux, prêchent la bonne parole. Nous veillons à ce qu’il y ait un équilibre entre les deux types de groupes.

Il faut prendre un peu de distance avec ce qui se dit, et je pense que chacun a le droit d’avoir sa propre opinion sur la religion."

"Si un groupe de chrétiens appelait à crucifier les païens, nous aurions également réagi"

Gonzague de Chantérac, 20 ans, est le secrétaire national du CNI, un parti de droite conservateur.

Nous respectons les gens qui écoutent de la musique heavy metal, mais nous refusons que des subventions publiques soient accordées à des groupes incitant à la violence et à la haine contre une partie de la population.

D’ailleurs, le CNI ne demande pas la fermeture du festival, il appelle uniquement les organisateurs à faire un tri dans la programmation.

En 2009 déjà, nous avions réagi contre l’invitation de certains groupes comme "Déicide", dont l’un des titres s’appelle "Kill the christians" ("Tuez les chrétiens"), ou "Deströyer 666", qui se définit comme l'Antéchrist et appelle à "lancer l'attaque" ou à "faire feu"... On imagine sur qui, sachant que le groupe conseille également aux chrétiens de "faire leurs prières" car ils n’échapperont pas "au marteau de Satan". Il y a aussi le groupe "Impaled Nazarene" ("Le Nazaréen empalé"), dont l’un des titres, "Absence of War", annonce qu’il faut "trancher la gorge de vos enfants" et "incendier vos lieux de culte". Encore un exemple : "Dimmu Borgir" (auteur du titre "Satan mon maître"), un groupe qui fait la promotion du viol, des mutilations et des dégradations. Ou enfin "Sacred Reich", "Pentagram", "Gorgoroth" (dont le chanteur a été condamné pour des agressions physiques en 2001 et 2006). Et que dire de "Rotting Christ" (Christ en putréfaction)…

Nous appelons à un respect mutuel et partagé : entre les amateurs de musique metal et les organisateurs du festival d'un côté et, de l’autre, les citoyens blessés par leurs paroles et les contribuables dont l'argent aurait pu être utilisé à des fins de solidarité dans ce contexte de crise économique. Si un groupe de chrétiens appelait à crucifier les païens, nous aurions également réagi.

Nous avons néanmoins constaté que les groupes visés en 2009 n'avaient pas été réinvités cette année, donc le CNI remercie les organisateurs tout en maintenant sa totale vigilance."