Les Saoudiennes veulent choisir leurs dessous tranquilles
Publié le : Modifié le :
En Arabie saoudite, la quasi-totalité des métiers de la vente sont réservés aux hommes. Un monopole qui s'avère un peu gênant quand les femmes veulent s'acheter des petites culottes et des soutiens-gorge... Du coup, un groupe de Saoudiennes exaspérées a décidé de prendre le contrôle du business de la lingerie. Mais les mentalités résistent.
En Arabie saoudite, la quasi-totalité des métiers de la vente sont réservés aux hommes. Un monopole qui s'avère un peu gênant quand les femmes veulent s'acheter des petites culottes et des soutiens-gorge... Du coup, un groupe de Saoudiennes exaspérées a décidé de prendre le contrôle du business de la lingerie. Mais les mentalités résistent.
Reem Asaad, analyste économique et blogueuse à Jeddah, a lancé le 13 février une campagne pour boycotter les magasins de lingerie dans le royaume. Elle est baptisée : "Non aux vendeurs de sous-vêtements en Arabie saoudite". La démarche a pour objectif de faire pression sur les autorités pour que la loi autorisant les femmes à travailler dans les magasins de lingerie soit enfin appliquée (Article 8 du décret-loi N120).
Cette loi, proposée par l'actuel ministre du Travail de tendance libérale, Ghazi al-Gosaibi, a été votée en 2006. Elle stipulait que tous les vendeurs devaient être remplacés par des femmes dans l'année. Mais devant les pressions du clergé saoudien et des partis conservateurs hostiles à la mixité, la plupart des magasins ont préféré ignorer l'appel.
Les deux semaines de boycottage n'ont cependant pas eu le succès escompté, et les employeurs font de la résistance. Ils se justifient en arguant que les magasins où travaillent des femmes devront, de fait, être interdits aux hommes - il est très mal vu qu'une femme vende à un homme en Arabie saoudite - ce qui implique certains coûts, comme l'installation de vitrines opaques pour que les clientes et les vendeuses ne soient pas visibles de l'extérieur.
Photo postée sur Flickr par Nick Hardcastle.
Un étalage de lingerie sur le marché de Qatif, dans l'est du royaume. Les seules femmes travaillant sur le marché vendent des paniers ou des objets d'artisanat. Les stands de lingerie et de vêtements féminins sont gérés exclusivement par des hommes.
"C'est l'une des plus grandes contradictions de la société saoudienne"
Eman Al Nafjan est professeur d'anglais et blogueuse à Riyad. Elle tient le blog Saudiwoman.
Ce boycott devait mettre le doigt sur l'une des plus grandes contradictions de la société saoudienne. Nous sommes censés être le pays le plus conservateur du monde et, pourtant, les femmes divulguent régulièrement la taille et la couleur de leurs futures culottes ou soutiens-gorge à des hommes qui ne sont pas leur mari. J'ai visité de nombreux pays d'Europe et du monde arabe, et je n'ai jamais vu d'hommes employés dans un rayon lingerie pour aider les clientes. Pourquoi ? Parce que le bon sens veut que la majorité des femmes préfère acheter leurs dessous à une femme. Mais cette réflexion simple n'a pas traversé l'esprit des muttawas [police religieuse] ou, peut-être, se sont-ils dit que l'oppression de la femme était plus importante que la préservation de leur pudeur.
Si la loi n'a pas été appliquée, c'est parce que des personnes puissantes ont empêché son application. Pourquoi ? D'abord parce que la plupart de ceux qui s'y opposent sont des muttawas qui pensent que les centres commerciaux sont des endroits diaboliques. S'ils le pouvaient, ils interdiraient même aux femmes de faire du shopping (...) ! Ensuite parce qu'ils détestent Al-Gosaibi et ses positions "libérales" et feraient tout pour lui tenir tête."
Les vendeurs de lingerie
Photo : Susie of Arabia.
Sur un marché, à Jeddah.
Photo : Susie of Arabia.
Un magasin de lingerie, à Jeddah.
"N’importe laquelle d’entre nous serait meilleure qu’un homme, simplement parce qu’elle porte des sous-vêtements de femme"
Susie habite à Jeddah, en Arabie saoudite. Elle tient le blog "Susie's big adventure".
Les choses ont très peu bougé depuis que la loi est entrée en vigueur, puisque les magasins n'ont pas l'obligation d'engager des femmes. En Arabie saoudite, les femmes ont interdiction de travailler dans de nombreux secteurs, dont la vente, à cause de la très stricte application de la séparation des sexes. Les rares femmes actives travaillent principalement dans les secteurs de la médecine et de l'éducation.
Pour les directeurs de magasins, engager des femmes coûterait trop cher car ils devraient alors installer des vitrines pour les soustraire au regard des hommes qui sont à l'extérieur. ceux-ci ajoutent, en outre, que ne pas avoir de vitrine n'est pas vendeur. Mais il s'agit de fausses excuses. Pourquoi ne pas simplement mettre, par exemple, un rideau entre la vitrine et le reste du magasin ?
Les patrons de boutiques disent aussi qu'ils devront payer un vigile pour empêcher les hommes d'entrer. Mais je ne comprends pas, il arrive très souvent que les hommes et les femmes fassent leur achats ensemble dans les centres commerciaux ou dans les supermarchés... Et puis, quelle différence y a-t-il entre un homme qui achète à une femme et une femme qui achète à un homme ?
Par ailleurs, ceux qui ont essayé d'employer des femmes ont conclu qu'il y avait plus de turn-over et qu'elle étaient moins compétentes. N'importe quoi ! Déjà, il faudrait leur faciliter la tâche en les laissant conduire pour aller au travail. Si un Bengali sans éducation peut vendre des dessous de femmes, n'essayez pas de me faire croire qu'une femme n'en est pas capable. N'importe laquelle d'entre nous serait meilleure vendeuse qu'un homme, simplement parce qu'elle porte des sous-vêtements féminins !
Je le dis à tous les directeurs de magasins de lingerie : les femmes ne sont pas à l'aise quand il faut acheter des dessous à un homme qu'elles ne connaissent pas. Il faut faire quelque chose. Toutes vos excuses sont idiotes et le pays est prêt à changer."