Vingt-quatre heures de la vie d’un ouvrier chinois
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Cet ouvrier du bâtiment chinois a publié sur Internet un journal décrivant son quotidien sur l'un des plus grands chantiers de complexe hôtelier de Chine. Une vie simple, mais pas malheureuse. Lire la suite et voir les photos...
Cet ouvrier du bâtiment chinois a publié sur Internet un journal décrivant son quotidien sur l'un des plus grands chantiers de complexe hôtelier de Chine. Une vie simple, mais pas malheureuse.
Cet ouvrier est chargé du renforcement de la structure métallique des immeubles sur le chantier ultra-moderne de Phoenix Island Health Resort, un complexe en construction dans la station balnéaire de Sanya, au sud de la Chine. Il a posté ce témoignage le 22 novembre, sous le pseudonyme de "Notre promesse", sur le forum chinois Mop.
Ce billet a été redigé avec l'aide de Chinahush.
Je ne m'exprime jamais. Je suis un travailleur migrant invisible. Avant, j'avais très peu d'estime de moi parce que je ne suis qu'un ouvrier qui va sur les chantiers tous les jours. Mais comme j'ai fait deux années d'études supérieures, notre manager m'a demandé de prendre des photos pour faire un peu de promotion.
Travailleur migrant est un mot péjoratif dans notre société. Nous sommes en bas de l'échelle sociale.
Mais je ne me sens plus dévalorisé maintenant. Nous, les travailleurs migrants, sommes aussi des êtres humains. Et nous sommes fiers car les plus grands immeubles ont été construits avec notre sang et notre sueur. Nous sommes éduqués, je sais écrire, et nous avons du savoir-vivre. J'écris ce billet pour que les gens sachent comment est construit un immense immeuble et qu'ils voient comment nous vivons.
Ce n'est pas moi sur la photo. Cet ouvrier bâtit la structure de métal que je renforce ensuite. Il s'appelle Wang Zhigqiang. Je vous raconterai plus tard en quoi consistent nos métiers.
"Combien d'entre vous se demandent comment c'est d'être là-haut, à 100 mètres de hauteur, sur l'immeuble en construction ?"
Nous travaillons à Sanya, dans la province du Hainan. Wang Zhigqiang est originaire de Leshan (je suis de Suining, dans le Sichuan). Ça fait un an et demi qu'il n'est pas rentré chez lui. Sa femme et ses enfants sont restés là-bas et son foyer lui manque énormément. Quand nous descendons tous déjeuner, lui reste sur le chantier et regarde l'océan. Il a le mal du pays.
C'est une photo de moi. C'est Laohu qui l'a prise. On me voit à peine! J'ai 24 ans, je suis allé à l'université et j'ai décidé de devenir ouvrier en bâtiment parce que je dois gagner de l'argent pour ma mère malade. C'est le travail que font tous les travailleurs migrants. Sanya est une ville magnifique. J'ai toujours aimé l'océan depuis que je suis petit. L'océan ouvre les esprits.
Combien d'entre vous se demandent comment c'est d'être là-haut, à 100 mètres de hauteur, sur l'immeuble en construction ?En fait, il y plein d'étapes dans la construction d'un nouvel étage. Je travaille sur le renforcement métallique, c'est une étape centrale. Je renforce les poutres porteuses.
"Mon salaire mensuel est de 1600 yuans [155 euros] donc si je ne mange pas et que je ne fais que travailler, dans cinq ans, je pourrai acheter un mètre carré [de cet immeuble]."
Cette année, l'hiver est très rigoureux dans mon village et je m'inquiète beaucoup pour ma mère. Moi, je vis sous un climat tropical, il fait chaud. Mais je suis seulement ici pour construire des immeubles et je n'ai pas les moyens de me payer une maison. Prenez l'immeuble sur lequel nous travaillons par exemple. Il s'appelle le Phoenix Island Health Resort et j'ai entendu dire qu'il se vendrait 80 000 yuans [7800 euros] le mètre carré. Ce serait tellement bien que ma mère puisse venir vivre ici. Mon salaire mensuel est de 1600 yuans [155 euros], donc si je ne mange pas et que je ne fais que travailler, dans cinq ans, je pourrai acheter un mètre carré.
Cet ouvrier travaille sur la structure. Il vient du même village que moi. C'est frère Wang. C'est lui qui m'a proposé de venir ici. Il m'a toujours beaucoup aidé.
Sanya est vraiment un bel endroit. L'entreprise pour qui nous travaillons construit le plus bel immeuble de la ville. Cette photo a été prise à l'entrée du chantier. Ça ressemblera à ça quand ce sera terminé. Le bâtiment principal fait 200 mètres de haut. C'est vraiment beau !
La plupart des gens pensent que les travailleurs migrants mangent du "wotou"[pain de maïs cuit à la vapeur] et de la soupe à l'eau... Mais les choses ont évolué. Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres travailleurs, mais ici on mange bien. On a de la viande et du poisson. Voici une des six cafétérias.
Notre vie culturelle, ce n'est pas ce qu'imagine la plupart des gens. On ne passe pas nos soirées à bavarder et à se masturber. Quand nous rentrons du chantier, on regarde la télévision. Nous avons une télé de 42 pouces (106 centimètres), un écran plat haute définition. Les migrants ici ont une vie normale.
"Quand on prend l'ascenseur, vers minuit, pour descendre les 100 mètres de l'immeuble, la brise marine souffle sur nos corps en sueur, c'est très agréable"
Travailler à l'ascenseur est le travail le plus facile. Quatre personnes se succèdent. Il marche 24h/24h. Mais ici, il fait très chaud donc ce n'est pas facile de rester des heures dans une cage. Wang Meili vient de la ville de Lesan, dans le Sichuan. Elle s'occupe de l'ascenseur depuis cinq ans maintenant. Elle m'aime bien. A chaque fois que je prends l'ascenseur, elle trouve toujours des choses à me dire. Ce n'est pas que je ne l'aime pas, mais je ne l'aime pas de la même façon. Je n'aime pas ce qu'elle lit, c'est toujours des livres de contrefaçon sur des meurtres, ou des histoires d'amour. J'étais surprise qu'elle soit romantique parce qu'elle est grosse !
Le meilleur moment, c'est quand on sort du travail. La cloche sonne, on attend l'ascenseur et à chaque fois Wang Meili me regarde. Et moi je suis ravi de quitter le travail. Quand on prend l'ascenseur, vers minuit, pour descendre les 100 mètres de l'immeuble, la brise marine souffle sur nos corps en sueur, c'est très agréable.Les ouvriers font des blagues salaces à Wang Meili. Elle devient toute rouge et nous insulte.
Je ne pense pas que les travailleurs migrants soient tristes, tous les immeubles des villes chinoises sont couverts de notre sueur. Et sans nous, les villes ne seraient pas aussi modernes.
C'est une photo prise dans l'ascenseur, juste au-dessus de l'océan. On voit Sanya de nuit, c'est très beau !
Sur le chemin du dortoir.
Nous avons un endroit pour prendre notre douche, mais oncle Yu a l'habitude de se laver dehors avec un tuyau. Il dit que c'est comme ça qu'il fait chez lui.
Pourquoi les ouvriers portent des casques blancs ou rouges et pas les habituels casques jaunes ?
Les casques jaunes sont pour les chefs, ils travaillent pour l'entreprise de construction. Ils sont payés au mois. Nous, nous sommes payés à l'heure. On travaille une journée et on est payé pour la journée. Si on tombe malade, pas de paie.
Mais les casques jaunes ne sont pas méchants. Le manager Yang arrive au travail avant nous et il part après nous. Ça fait deux ans qu'il n'est pas rentré chez lui. Il est responsable de la qualité du chantier. Un jour, je l'ai vu pleurer tout seul, je sais que sa maison lui manque.
"Le soir, on parle de la météo de notre ville natale, on soupire et on se couche"
[...] Quand on se repose le soir, on regarde la télé. Le programme le plus regardé ce n'est pas le journal télévisé. On n'a pas le droit de trop s'intéresser à la politique. On est plus concernés par la météo qui passe après le journal. On parle du temps qu'il fera dans notre ville natale, on soupire et on se couche.
Lui, il travaille sur le béton. Il vivait à Shijiazhuang. Sa maison a été écrasée par la la neige cette année, mais heureusement personne n'a été blessé.
Lele est le fils de Lao Wang. Il ne sourit jamais. C'est la photo la plus joyeuse que j'ai prise de lui alors qu'il faisait semblant de monter à cheval. C'est son plus grand sourire.
Ça se passe dans l'arrière cour [...]. Lele a grandi ici entre 2 et 4 ans.
Il fait cette tête normalement.
Il y a des femmes ici, mais elles ne montent pas dans les étages. Elles travaillent au rez-de-chaussée pour transporter des choses. La femme de Lao Wang est venue ici le mois dernier et elle fait ce genre de travaux. Elle est très jolie, mais ici il y a beaucoup de vent alors elle se couvre la tête.
La manager Yang lui a donné un casque jaune parce qu'il n'y en avait plus d'autre.
"Quand je fais des pauses, je dors parfois sur la plage"
Près du chantier, c'est l'océan. C'est moi qui ai pris cette photo. L'eau est calme et transparente. Quand je fais des pauses, je dors parfois sur la plage. Cet endroit ne nous appartient pas, mais comme nous venons travailler ici, on a la chance de pouvoir regarder le plus beau rivage du pays sans dépenser un sou.
Retour au boulot. J'ai pris cette photo sur l'ordinateur du manager Wang. C'est comme ça que l'immeuble sera à la fin. Ils commenceront à vendre en décembre, déjà !
Pendant la nuit, je suis allé discrètement sur Internet, je me suis fait gronder. Il y a pas mal d'ordinateurs ici, mais je n'ai pas le mien. La plupart des portables servent à jouer sur des petites applications de Windows.
Je l'ai emprunté à mon camarade de chambre Wang. Sa famille est plus riche que la mienne.
Nous avons une petite épicerie sur l'île. J'y vais tous les trois jours. A chaque fois, j'achète un paquet de Hongmei, on fume tous ça ici, ce sont les moins chères. La patronne m'aime bien et moi aussi je l'aime bien. Pendant un moment, je pensais à elle quand je me masturbais la nuit. Parfois je le faisais deux à trois fois par nuit en pensant à la façon qu'elle avait d'être gentille avec moi. Mais j'ai laissé tomber cette mauvaise habitude. Quand j'ai envie, maintenant, je regarde l'immense océan je respire et ça passe.
"Un jour, alors que j'étais malade, je me suis caché dans un tuyau en ciment et j'ai dormi toute une journée"
Je n'ai jamais eu une santé de fer. Quand je suis arrivé ici, j'ai eu plusieurs fois des fièvres. Un jour, alors que j'étais malade, je me suis caché dans un tuyau en ciment et j'ai dormi toute une journée. Quelqu'un m'a trouvé et amené à l'hôpital. Puis j'ai guéri et maintenant, je ne tombe plus malade. Travailler, c'est le meilleur moyen de rester en forme.
C'est l'endroit où on vit, vu d'en haut.
Aujourd'hui, mon patron m'a fait des remarques pour avoir poster les photos en ligne. J'étais très en colère et je lui ai dit que je n'avais rien posté de négatif. Il m'a dit que ce que je devais dire, c'est que tout est propre et que tout se passe bien. J'ai dit 'Tant que c'est la vérité'. Bref, aujourd'hui, je me suis fait gronder.
Quand je suis arrivé ici, l'immeuble ressemblait à ça.
Maintenant, il est comme ça.
Je ne sais pas pourquoi écrire ce billet est si difficile. J'étais tellement doué quand j'étais à l'école, j'écrivais des choses très belles. Mais maintenant je sais que mon rêve de devenir écrivain s'est envolé."