Les murs de Buenos Aires se souviennent du premier "disparu" post-dictature
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Julio López a disparu alors qu'il se rendait à l'une des dernières audiences du procès de celui qui l'avait fait arrêter et torturer pendant la dictature militaire en Argentine. Porté disparu depuis trois ans, il n'a pas été oublié pour autant. Ses portraits géants et des graffiti en son hommage ornent les murs de Buenos Aires et d'autres villes du pays.
Image: Alejandro Rodriguez sur Flickr.
Julio López a disparu alors qu'il se rendait à l'une des dernières audiences du procès de celui qui l'avait fait arrêter et torturer pendant la dictature militaire en Argentine. Porté disparu depuis trois ans, il n'a pas été oublié pour autant. Ses portraits géants et des graffiti en son hommage ornent les murs de Buenos Aires et d'autres villes du pays.
López, un maçon de 80 ans, est connu pour être le premier ''desaparecido''depuis le retour de la démocratie. Son histoire tragique avait fait de lui un symbole de la quête de justice des victimes de la dictature. Près de 30 000 personnes ont "disparu" en Argentine entre 1976 et 1983.
L'histoire de López commence en 1976, lorsqu'il est kidnappé par les forces de sécurité nationale. Il sera détenu pendant trois ans. L'ancien commissaire de police, Miguel Etchecolatz, sous la supervision duquel Julio López avait été torturé, a été condamné à une peine de 23 ans de prison en 1986. Mais cette condamnation a été annulée en marge d'une loi - controversée - intitulée "Devoir d'obéissance". Cette loi permettait d'amnistier les officiers qui clamaient n'avoir agi que sur les ordres d'un supérieur.
Après l'abrogation de cette loi en 2003, Etchecolatz fut de nouveau convoqué devant les tribunaux. López a témoigné contre lui. Reconnu coupable de la disparition de six individus et de la torture de plusieurs personnes, l'ancien commissaire a été condamné à la prison à vie. Un verdict auquel López n'a pas pu assister puisqu'il avait disparu la veille.
Image: "La Renate" sur Flickr.
"Sa disparition signifie que les forces de l'ombre sont toujours là"
Cristina Civale est journaliste et écrivain. Elle vit à Buenos Aires.
Dans un pays où 30 000 personnes ont disparu pendant le régime de Jorge Rafael Videla, il est inacceptable que Julio López puisse disparaître sans traces. Il est le 30 001e 'desaparecido', mais il est le premier disparu de l’aire démocratique.
Qu’est ce que cela signifie ? Et bien sa disparition signifie que les forces de l’ombre sont toujours là et qu’elles se portent bien puisque les personnes qui témoignent contre elles ne sont pas en sécurité.
Il faut qu’on le retrouve vivant. Sinon, ça veut dire que notre démocratie est en danger. Invité par le gouvernement à témoigner, il n’a pas été protégé comme il se doit. Ceux qui sont en quête de vérité attendent des explications sur cette affaire."
"Son courage lui a peut-être coûté la vie"
Gerardo Dell’Oro est photojournaliste à Clarín, un des principaux quotidiens argentins. Pour des raisons personelles, il s’est beaucoup documenté sur l’art de rue consacré à Julio López.
Je connaissais personnellement López. Le procès dans lequel il avait témoigné concernait, entre autres, les disparitions de ma sœur et de son mari.
Ils ont été enlevés un soir de novembre 1976 par des policiers, en civil et en uniforme. Leur fille n’avait même pas 1 mois. J’avais 10 ans à l’époque des faits. Vingt ans se sont écoulés sans que l’on sache ce qui leur est arrivé.
J’ai rencontré López en 1996. Il n’avait jamais parlé à personne ni de ces années ni de son cas personnel avant de se confier à moi. Il avait été détenu au même endroit que ma sœur et mon beau-frère, dans un centre de détention appelé Arana Pit. Il a vu de ses yeux leur exécution, une semaine après leur arrestation. Il a entendu les derniers mots de ma sœur : 'Ne me tuez pas, emmenez-moi en prison, je veux élever ma fille'.
C’est grâce à son témoignage que l’on a pu faire notre deuil, même si la justice y a également contribué. Au moment du procès, ma nièce venait elle-même d’être mère. Et puis López a disparu. Au moment où la condamnation de l’assassin était prononcée, le témoin-clé disparaissait.
J’ai commencé à photographier l’art de rue consacré à López afin de lui rendre hommage en entretenant sa mémoire. Afin de se souvenir de quelqu’un qui s’est souvenu. Tristement, son courage lui a peut-être coûté la vie."
"Sans López il n'y a pas de 'Plus jamais'" (en référence au rapport sur les disparus).
"Deux ans sans López, vous pouvez vous habituer à ça ?"