Condamnés pour un crime virtuel
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Deux ados néerlandais ont été condamnés la semaine dernière pour vol d'objets virtuels. De l'autre côté de la planète, une pianiste japonaise a été emprisonnée après avoir liquidé son ex-mari virtuel. La réaction de notre Observateur Patrick Beisser, adepte de Second Life.
Scène de crime dans le monde virtuel de Second Life.
Deux ados néerlandais ont été condamnés la semaine dernière pour vol d'objets virtuels. De l'autre côté de la planète, une pianiste japonaise a été emprisonnée après avoir liquidé son ex-mari virtuel. La réaction de notre Observateur Patrick Beisser, adepte de Second Life.
Deux jeunes adolescents de 14 et 15 ans ont forcé un autre garçon de 13 ans à ouvrir son compte "RuneScape" afin de lui soutirer une amulette et un masque virtuels, qu'ils ont transféré sur leur propre compte. Bien qu'ils aient menacé et battu leur victime, ils n'ont finalement été condamnés que pour le vol des deux objets imaginaires. Face à ce cas, aussi rare qu'insolite, le juge du district de Leeuwarden a en effet condamné les "voleurs" à respectivement 160 et 200 heures de travaux d'intérêt général. Le magistrat a estimé que l'immatérialité de l'objet n'empêche pas la loi de reconnaître le vol.
Accusée d'avoir tué en ligne son ex-mari virtuel et suspectée d'avoir piraté son compte "Maple Story", une pianiste japonaise de 43 ans est détenue depuis le 24 octobre. Elle encoure 5 ans de prison bien qu'elle n'ait pas planifié de s'en prendre à son mari dans la vraie vie.
Ces deux affaires constituent un tournant dans la répression des crimes commis dans un univers virtuel. Elles suscitent d'ailleurs un vif débat au sein de la blogosphère qui discute de l'incroyable valeur émotionnelle qu'ont pris, aux yeux de certains internautes, ces identités et objets pourtant imaginaires.
"Le crime virtuel commis au Japon est comparable à la perte d’un bras, une sorte d’amputation psychologique"
Patrick Beisser est membre de l'univers virtuel de Second Life depuis deux ans.
Les crimes commis dans un univers tel que Second Life sont différents des autres crimes virtuels, comme le piratage d'un compte bancaire ou d'un mail. La violation d'une identité ou d'un personnage est moins abstraite que celle d'un compte. Les avatars sont une création de l'esprit. Ils sont souvent dirigés par leur créateur comme s'il s'agissait d'un double. Dans le monde virtuel, l'intégrité d'un personnage est à peu près comparable à l'intégrité physique d'un être réel. Certes, il ne ressent pas de douleurs physiques, mais une souffrance morale est également ressentie dans les deux mondes.
J'ai depuis deux ans un personnage dans Second Life qui est, d'une certaine manière, mon double. D'un simple avatar au départ, il est devenu un être sophistiqué, exhibant différents attributs, comme des lunettes multicolores, un cigare cubain au bec ou des bottes en cuir cloutées et ornées de fils barbelés. Il est capable d'exprimer une multitude d'émotions à travers ses gestes. Il peut manipuler de nombreux objets collectés ou fabriqués tout au long de l'aventure. Les psychologues devraient s'intéresser à ce phénomène.
Le fait de diriger dans un monde virtuel un personnage unique et complexe n'est pas sans conséquence, notamment sur le plan psychologique. Je serais triste si quelqu'un réussissait à m'enlever de force mon cigare de ma bouche virtuelle. Je me sentirais nu et je trouverais autre chose pour le remplacer. Entre vie virtuelle et vie réelle, le cerveau humain peut parfois se perdre.
Le crime virtuel commis au Japon est comparable à la perte d'un bras, une sorte d'amputation psychologique. Tout dépend du temps, du travail et de l'argent consacré à un avatar. Ça peut paraître futile pour les non-initiés, mais ça ne fait pas rire les habitués."