"Bavure" de Monfermeil, le point de vue d’un policier
Nous avions publié mardi une vidéo montrant des brutalités commises par des policiers contre un jeune de Montfermeil. Un commandant de police, qui a travaillé dix ans en banlieue, nous raconte comment ses collègues travaillent "la peur au ventre" et revient sur la proposition du directeur de la Sécurité publique d'engager des caméramans pour suivre ce type de descente.
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Nous avions publié mardi une vidéo montrant des brutalités commises par des policiers contre un jeune de Montfermeil. Un commandant de police, qui a travaillé dix ans en banlieue, nous raconte comment ses collègues travaillent "la peur au ventre" et revient sur la proposition du directeur de la Sécurité publique d'engager des caméramans pour suivre ce type de descente.
La vidéo des violences policières
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Posté par rue89. Violences policières autour de la 42e seconde.
"Si on munie les policiers de ce type de matraque, c’est bien parce qu’ils peuvent avoir à s’en servir"
Mohamed Douhane est commandant de police membre du bureau national du syndicat Synergies officiers. Il a grandi dans des quartiers chauds de Grenoble et a travaillé dix ans en banlieue parisienne.
Commençons par dire clairement quelle est notre position sur le sujet : nous condamnons évidemment tout acte de violence illégitime. Une enquête est en cours de la part de l'Inspection générale des services (IGS) et, selon ses résultats, le parquet pourra décider d'engager des poursuites contre les policiers incriminés. S'ils sont jugés responsables, les sanctions peuvent aller du simple avertissement à la révocation.
Maintenant, nous ne savons pas dans quelles circonstances s'est déroulée cette intervention. Je suis dubitatif lorsque les médias parlent de "bavure", alors que le jeune n'a eu que deux jours d'ITTP [incapacité temporaire totale personnelle], alors qu'un des policiers est lui reparti avec 30 jours.
L'emploi de la force par un policier doit être proportionné et adapté à la situation. Mais il faut bien comprendre que lors de ce genre d'intervention, il faut interpeler et évacuer le suspect rapidement, sinon la situation dégénère. J'ai eu moi-même à le faire. Si on reste trop longtemps, on se retrouve face à des regroupements hostiles et des jeunes qui viennent casser du flic. L'un des policiers que l'on voit sur la vidéo frappe avec un Tonfa. Pour porter ce type d'arme, il faut avoir reçu une habilitation et une formation spéciale. Il ne doit pas être utilisé à tors et à travers, mais si on munie les policiers de ce type de matraque, c'est bien parce qu'ils peuvent avoir à s'en servir. Les médias ont parlé également de coups portés avec la crosse d'un flash ball. Ca, par contre, ce n'est pas un procédé réglementaire.
Mais gardez en tête que ces cités sont des zones de guerre [Mohamed a souhaité rectifier : il préfère en fait utiliser le terme de "guérilla urbaine"]. Les jeunes nous ne nous perçoivent pas uniquement comme des représentants de l'Etat, mais aussi comme une bande rivale qui les gêne dans leurs trafics souterrains, en particulier la vente de drogue. Ils ont un réel sentiment d'impunité, car ils savent que la justice, surtout s'ils sont mineurs, n'est pas répressive. Ils n'hésitent plus à s'en prendre physiquement aux policiers. Et ils préparent même parfois des guet-apens. Ils montent des chariots, de la vaisselle, tout ce qui peut tuer, en haut des immeubles. Ensuite, ils brûlent une poubelle et attendent les policiers pour les attaquer. On en est arrivé là.
Les policiers sont les principales victimes des défaillances du système, qui a ghettoïsé ces gens. Les agents que l'on voit sur cette vidéo sont de simples gardiens de la paix du commissariat voisin. La plupart du temps, ce sont des jeunes qui n'ont pas été formés pour ce genre d'intervention. Ils sont confrontés à des comportements hostiles en permanence et lorsqu'ils interviennent, ils ont la peur au ventre. Je ne justifie pas les actes que l'on voit dans cette vidéo, mais j'essaie simplement d'expliquer pourquoi, parfois, certains pètent les plombs.
Enfin, j'avais déjà vu d'autres vidéos publiées par Kourtrajmé [le voisin qui a filmé le tabassage est membre de ce collectif de réalisateurs], notamment le clip de Justice. Ce clip, c'était de l'incitation à la violence pure et simple. Ils banalisent la violence et cela a un impact sur les esprits des jeunes les plus faibles. Dans les quartiers, le flic est vu comme un robot, comme dans un jeu vidéo, pas comme un être humain. Il serait bien que Kourtrajmé fasse parfois passer des messages positifs.
Le directeur de la Sécurité publique a annoncé le recrutement de caméramans pour suivre les policiers dans leurs interventions. Mon syndicat y est favorable, comme à tout autre moyen d'établir la vérité. Dans le cas de la vidéo de Montfermeil, des images de la police auraient d'ailleurs permis de montrer le début de l'intervention, à l'étage, et pas uniquement ce qui s'est passé dans le hall."