CANADA

Un camp d’entraînement de terroristes au Canada. Vraiment ?

Cette vidéo a été montrée lors du procès de 18 "islamistes" accusés d'avoir planifié des attentats contre les autorités canadiennes. Mais ces images ont été tournées lors d'un "camp d'entraînement au terrorisme" organisé par un informateur payé par les services de renseignements. Un détail, semble-t-il, pour beaucoup de médias canadiens qui ont sauté sur ce document. Lire la suite...

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Cette vidéo a été montrée lors du procès de 18 "islamistes" accusés d'avoir planifié des attentats contre les autorités canadiennes. Mais ces images ont été tournées lors d'un "camp d'entraînement au terrorisme" organisé par un informateur payé par les services de renseignements. Un détail, semble-t-il, pour beaucoup de médias canadiens qui ont sauté sur ce document.

Cette vidéo est considérée comme une "preuve clef" par les médias canadiens. Elle montre de jeunes hommes jouant apparemment des scènes de guerre, fusils au poing, dans des bois de l'Ontario. Les membres de ce groupe ont été arrêtés lors d'un raid en juin 2006. Ils sont accusés d'avoir planifié, entre autres, des attentats à la bombe contre le Parlement et contre le siège des services de renseignements (CSIS), ainsi qu'une prise d'otage et la décapitation du Premier ministre et d'autres hommes politiques.

Sept des dix-huit accusés ont été relaxés - ils affirment avoir été torturés et détenus à l'isolement pendant 17 mois. Les onze autres passent en ce moment devant la justice.

Leur dossier est principalement constitué de preuves accumulées par deux informateurs du CSIS, payés 300 000 et 4 millions de dollars canadiens [200 000 et 2,6 millions d'euros]. Le mieux rémunéré, Mubin Shaikh, a organisé les week-ends "d'entraînement au terrorisme" qui sont montrés sur cette vidéo. Le témoignage de cet homme, connu pour son franc-parler mais aussi son addiction à la drogue, a déclenché une controverse au Canada, notamment lorsqu'il a déclaré que certains des participants n'étaient pas au courant des complots terroristes en préparation. France 24 a tenté de joindre le CSIS, qui n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

"La menace est réelle, ce n’est pas une lubie"

Fabrice de Pierrebourg est un journaliste spécialisé dans les questions de terrorisme et d'islamisme au Canada. Il a notamment écrit Montréalistan, une enquête sur la vie de terroristes.

Certaines personnes disent que ce ne sont que des gamins qui fantasment sur le Djihad, mais je considère qu'il n'est pas anodin d'aller s'entraîner au Canada, dans la neige, avec un 9 mm et ce que je crois être un drapeau du Djihad. Et même si c'étaient des armes factices, je trouverais ça préoccupant.

Ce n'est pas comme si on parlait d'un événement exceptionnel. Récemment, un informaticien du ministère des Affaires étrangères a été arrêté parce que les services secrets avaient intercepté des courriels prouvant qu'il était en contact avec cinq terroristes à Londres.

Mais, en général, on n'arrive pas à aller jusqu'au bout des procédures d'inculpation. Les lois, la liberté de religion et la liberté d'association ont beaucoup aidé à l'installation de réseaux terroristes. Ces derniers se servent souvent d'associations légales en façade. Et puis les diasporas sont très importantes ici. Il est plus facile de se noyer dans la masse et de trouver des relais, des gens sensibles à ces idées.

La menace est réelle, ce n'est pas une lubie. Il y a une implantation des tigres tamouls au Canada. Et des islamistes du Maghreb s'installent au Québec francophone. Il y aussi des membres du Hezbollah.

Dès que l'on parle de terrorisme, ici, on nous ressort la théorie du complot. Les médias questionnent automatiquement le travail de nos services secrets et de la police. Et pour cause, si on soupçonne aujourd'hui Mubin Shaikh [sur la vidéo], d'être un provocateur, c'est parce que les services secrets se sont déjà laissés aller à ce genre de magouille auparavant. Il y a donc toujours une suspicion. Et ça n'aide pas du tout ceux qui essaient de sonner l'alarme."

"Cette vidéo prouve qu'il n'y a rien de sinistre dans tout ça"

David Weingarten est un réalisateur de Toronto. Il a produit un documentaire indépendant, "Un traitement injuste", pour remettre en question la version donnée par les médias canadiens sur cette affaire.

Je ne sais pas quels sont les motifs exacts derrière la publication de cette vidéo. Mais j'ai l'impression qu'elle aidera le gouvernement à se justifier si les accusés sont acquittés.

Pourtant, quand on sait que le clip a été tourné lors d'un séjour organisé par Mubin Shaikh [l'informateur des services de renseignements canadiens], je me dis que lorsqu'on est payé 300 000 dollars pour un an, on a de bonnes motivations pour fournir des résultats à son employeur. Je ne dis pas qu'ils ont été piégés, mais il a quand même dit que certains participants à son stage ne savaient pas de quoi il retournait. Pour eux, c'était juste une retraite spirituelle, pour se reconnecter à leurs racines. L'un d'entre-eux a même dit qu'il venait pour perdre du poids !

Pour moi, cette vidéo prouve qu'il n'y a rien de sinistre dans tout ça. Le paintball et la randonnée sont très populaires ici. Et la musique de cette vidéo n'a rien de sordide [le Nasheed, le type de musique joué pendant cette vidéo, est d'inspiration islamique]. Idem pour les drapeaux, il n'y a aucun insigne dessus. On les voit aussi conduire, mais les "donuts tournants" qu'ils font avec leur voiture n'ont rien d'exceptionnel. C'est la première chose que les jeunes tentent, lorsqu'il neige, pour fêter leur permis. La seule chose qui est sordide dans cette vidéo, c'est le fusil, mais il est porté par l'informateur lui-même...

Le problème, c'est que les médias canadiens ont repris cette histoire en partant du principe que ces hommes étaient coupables. Qu'en est-il de la présomption d'innocence ?

Il ne faut pas oublier que notre gouvernement conservateur s'est allié avec l'administration Bush. Et que les budgets des différentes agences vont être renouvelés en 2008. Le CSIS a probablement considéré que le soutien de la population avait faibli depuis les attentats du 11 septembre 2001 et que pourtant ils avaient besoin de fonds supplémentaires. L'affaire des "18 de Toronto" arrangeait tout le monde."

Le camp "d'entraînement au terrorisme"

Cette vidéo a été postée par l'organisation américaine "des réponses au 11-Septembre", spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Elle est apparue quelques jours avant le procès du dernier des membres du groupe des "18 de Toronto".