Le mythe Walesa battu en brèche
La Pologne est en ébullition depuis la sortie du livre de deux historiens qui accusent l'ancien président de Pologne et Prix Nobel de la paix, Lech Walesa, d'avoir caché sa collaboration, dans les années 70, avec la police politique communiste.
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Lech Walesa en couverture du Time de décembre 1980.
La Pologne est en ébullition depuis la sortie du livre de deux historiens qui accusent l'ancien président de Pologne et Prix Nobel de la paix, Lech Walesa, d'avoir caché sa collaboration, dans les années 70, avec la police politique communiste.
L'institut de la mémoire nationale (IPN) a publié début juin un ouvrage de 780 pages intitulé "La SB face à Lech Walesa", signé par les historiens Slawomir Cenckiewicz et Piotr Gontarczyk. Ce livre s'appuie sur des archives de la SB (l'équivalent polonais du KGB russe) pour affirmer que l'ancien président a travaillé en étroite collaboration avec la très redoutée police politique communiste entre 1970 et 1976. La publication fait d'autant plus de vagues que Walesa est la personnalité polonaise la plus réputée à l'étranger et l'emblème du combat de son pays contre le joug soviétique.
Les historiens expliquent notamment que Walesa, alors électricien et leader syndical, avait fourni, sous le pseudo de "Bolek", des informations à la SB sur les organisateurs de grève au début des années 70. L'ancien président a reconnu avoir signé des documents que lui avait soumis la police politique à la suite d'interrogatoires, mais il nie catégoriquement être ce Bolek mentionné dans l'ouvrage.
Ces accusations partagent l'opinion publique polonaise. Certains dénoncent le sensationnalisme outrancier de l'ouvrage, d'autres s'indignent et considèrent que Lech Walesa a trahi la nation.
Ce billet a été réalisé avec la collaboration de notre Observateur en Pologne, Marcin Smietana.
Lech Walesa en couverture du Time de décembre 1980
Posté sur Flickr par mmarek
"La SB face à Lech Walesa, introduction à une biographie"
"Nous avons des preuves nouvelles et solides"
Andrzej Zybertowicz est sociologue. Il est aussi le conseiller du Président Lech Kaczynski sur les questions de sécurité nationale.
Cet ouvrage est l'aboutissement de plusieurs années de recherches. Il ne s'arrête pas seulement sur les zones d'ombre de l'histoire de Lech Walesa. Il aborde plus généralement les problèmes de l'Etat polonais après 1989. Et c'est ce qui explique les réactions hystériques. Ces attaques visent à discréditer la valeur scientifique du travail des auteurs et à décourager quiconque d'étudier les collaborations douteuses de cette période.
Dans le débat public, rares sont ceux qui ont abordé le livre de façon raisonnable. Les débordements de colère tels que "les auteurs mériteraient une bonne gifle" ne sont pas constructifs.
La seconde partie du livre traite de la façon dont Walesa a abusé de sa fonction de président dans la première moitié des années 90. Des documents inédits donnent la preuve que Walesa en personne, ainsi que d'autres personnages officiels, ne faisaient "pas vraiment attention à la façon dont certains documents confidentiels étaient gérés". Ce qui a permis à l'ancien président d'en faire disparaitre quelques-uns au passage.
On sait, par ailleurs, que la procureure qui a examiné le dossier [en 2000] sur les activités de Walesa pendant les annnées 70 subissait des pressions. Elle a donc été limitée dans son investigation et les conclusions tirées de cette enquête n'étaient probablement pas correctes. Le livre montre clairement que la procédure judiciaire n'a été ni minutieuse ni fiable. Maintenant que nous avons des preuves nouvelles et solides, il y a matière à réexaminer le dossier de Lech Walesa pour voir s'il doit efffectivement sortir blanchi de cette histoire".
"Quel intérêt politique derrière la réouverture de ce dossier ?"
Andrzej Friszke est un historien spécialisé dans les mouvements sociaux d'Europe de l'Est entre 1945 et 1989.
Ce livre ne dit rien du climat social et politique dans lequel il a été écrit. Pourtant il est indispensable de s'arrêter sur ce contexte.
Ces dossiers d'archives ont été ouverts aux auteurs du livre par Jaroslaw Kaczynski [social conservateur et anticommuniste], alors Premier ministre. Ils n'auraient pas dû leur parvenir car ils concernent une période récente [1993]. Jaroslaw Kaczynski avait déjà essayé de faire tomber d'autres hommes politiques, accusés eux d'avoir collaboré avec des communistes après 1989, mais sans succès. Et c'est à ce moment que les attaques contre Lech Walesa ont ressurgi. L'ancien président avait déjà été accusé d'espionnage une première fois en 2000, mais il en était sorti blanchi.
La question qu'il faut se poser, c'est quel intérêt politique se cache derrière la réouverture de ce dossier ? Je suis plutôt sceptique sur toute cette histoire. C'est la première fois que des dossiers de l'ABW, l'Agence de sécurité interne créée dans les années 90, sont rendus disponibles. Je ne saurais pas dire s'il existe des moyens légaux de rouvrir le dossier Walesa, mais il y a sans aucun doute des hommes politiques qui ont intérêt à ce que ça arrive."