"Le racisme de Noirs contre d’autres Noirs, le summum de la stupidité"
42 personnes ont été tuées depuis que la chasse aux étrangers a été lancée dans les bidonvilles de Johannesburg. Un immigré zimbabwéen à Johannesburg et nos Observateurs en Afrique du Sud tentent d'expliquer cette soudaine explosion de violence.
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Une manifestation contre la xénophobie hier à Johannesburg.
42 personnes ont été tuées depuis que la chasse aux étrangers a été lancée dans les bidonvilles de Johannesburg.
Les émeutes anti-immigrés ont éclaté en début de semaine dernière. Elles sont principalement dirigées contre les Mozambicains et les Zimbabwéens installés dans le pays, accusés de "voler le travail" des Sud-africains. Elles sont une réaction à la hausse du coût de la nourriture et au taux de chômage particulièrement haut - environ 40 % - dans les townships. Ces incidents ont déjà fait 42 morts et 16 000 déplacés. Le président sud-africain Thabo Mbeki a décidé ce mercredi de déployer l'armée pour empêcher les lynchages.
Manifestation contre la xénophobie à Johannesburg
Photos : Christo Doherty sur Flickr.
Des enseignants et des étudiants de l'université Witwatersrand manifestent contre les lynchages sur l'avenue Jan Smut de Johannesburg (21 mai 2008). Christo Doherty, enseignant dans cette université, a participé à la manifestation.
L'Afrique du Sud a accueilli plus de 3,5 millions de réfugiés zimbabwéens, mais le gouvernement refuse de voir les problèmes que cela pose. Combiné avec le taux de chômage et le désespoir qui règne dans les townships, il n'y a rien d'étonnant à ce que des crises de xénophobie éclatent."
"Si on avait le choix, on ne serait pas là"
ZimStallion est un Zimbabwéen vivant à Cape Town.
La xénophobie, c'est de la jalousie contre les étrangers de la part de gens qui ont fait l'autruche pendant des années. Pourquoi est-ce que les Zimbabwéens affluent en Afrique du Sud ? Parce qu'ils ont un président débile qui les asphyxie sans raison. Pourquoi ont-ils un président débile ? Parce qu'il y a un autre président débile, en Afrique du Sud, qui empêche le reste du monde de s'en prendre à Mugabe. Pourquoi est-ce que les citoyens débiles d'Afrique du Sud s'en prennent aux pauvres innocents Zimbabwéens ? Parce que les Sud-africains sont fainéants. Ils attendent que les choses tombent des arbres, alors que les Zimbabwéens travaillent dur. Chers Sud-africains, je vais vous expliquer les choses aussi simplement que possible : virez votre président débile, pour qu'il arrête de soutenir Mugabe, et nous rentrerons tous chez nous ! Vous pourrez garder vos boulots pourris et garder votre pays pourri pour vous seuls. Si on avait le choix, on ne serait pas là."
Posté par ZimStallion le 19 mai 2008.
"Du racisme de Noirs contre d’autres Noirs, le summum de la stupidité"
Ndumiso Ngcobo est enseignant à Johannesburg.
Ca n'est pas du tout ce que l'on voit dans les médias. La situation ne déborde pas, les incidents sont très localisés. Je me suis rendu moi-même dans ces quartiers et je n'ai rien vu, à part quelques petites altercations ici et là. Ce ne sont pas des groupes organisés, juste des petits groupes de brutes. Si c'était des émeutes xénophobes, ils s'attaqueraient aux Pakistanais, aux immigrés d'Europe de l'Est et aux Chinois. Ici, on a affaire à du racisme de Noirs contre d'autres Noirs, le summum de la stupidité. Même des Sud-africains ont été tués parce qu'on les a pris pour des étrangers. Ce type de problème n'est pas spécifique à l'Afrique du Sud. Ca existe aussi en Europe. Mais nous n'y sommes pas habitués. Depuis 1994, nous n'avions pas eu beaucoup d'immigration. Nous sommes une société assez fermée. Le plus triste, c'est que les gens qui font ça ne peuvent pas atteindre ceux contre qui ils sont vraiment en colère : les membres du gouvernement."
"Ces incidents ne vont pas décourager les Zimbabwéens de passer la frontière"
Daniel Mokole est un Zimbabwéen vivant en Afrique du Sud. Il est avocat spécialisé dans les droits de l'homme à Johannesburg.
Les Zimbabwéens qui viennent ici trouvent du travail car ils ne coûtent pas chers. La plupart de ces immigrés sont surqualifiés pour les postes qu'ils occupent - des enseignantes se retrouvent femmes de ménage. Je me sens en sécurité parce que j'habite dans un quartier agréable où la sécurité est bonne, mais j'ai remarqué la réaction des gens lorsqu'ils réalisent que je suis zimbabwéen. Il essaient de nous parler en langue locale, car ils n'aiment pas parler anglais. Le problème, c'est la différence qui existe entre les Noirs sud-africains et ceux du Zimbabwe. Nous sommes en général plus éduqués car nous avons grandi au sein d'une société stable dans les années 80. Nous sommes les plus éduqués du continent, d'ailleurs. Donc ils se sentent menacés, c'est naturel. 2008 a été une mauvaise année : plus de crimes, des problèmes avec le gouvernement, la hausse des prix... L'avenir semble incertain. Les gens essaient juste de survivre. Ces incidents ne vont pourtant pas décourager les Zimbabwéens de passer la frontière, car la situation est vraiment mauvaise chez nous. Nous avons besoin de l'aide des Nations-unies. Et je serais tenté de demander l'aide de l'armée sud-africaine aussi, même si je pense que cela pourrait conduire à des débordements [l'armée intervient depuis aujourd'hui]."