Le clip choc du groupe Justice : "Des petits bourges qui ont voulu se faire un frisson"
Le groupe d’électro français Justice défraie la chronique avec son dernier clip, "Stress", une descente esthétisée dans la violence des banlieues. Ils cherchaient la polémique, ils l’ont eue. Mais quel intérêt ont ces "petits bourges parisiens" à souffler sur le feu ?
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Le groupe d’électro français Justice défraie la chronique avec son dernier clip, "Stress", une descente esthétisée dans la violence des banlieues. Ils cherchaient la polémique, ils l’ont eue. Mais quel intérêt ont ces "petits bourges" à souffler sur le feu, s'interroge l'un de nos Observateurs en banlieue ?
Le clip de "Stress" a été réalisé par Romain Gavras - le fils du réalisateur Costa-Gavras. Artistiquement parlant, les avis concordent : c’est très réussi. L’atmosphère de ce clip, âpre, violente, hyperréaliste, met pourtant le spectateur mal à l’aise. De telles images - déjà interdites à la télévision - font-elles réfléchir ou jettent-t-elles de l’huile sur le feu pour mieux vendre des albums ? L’attachée de presse d'Ed Bangers Records, le label de Justice, explique que les artistes ne souhaitent pas s’expliquer sur ce clip et ajoute qu’ils n’ont d’ailleurs "aucune stratégie de communication"… Nous avons donc montré ce film à des jeunes de banlieue et d’ailleurs. Leurs réactions.
"Ca va leur faire vendre des disques"
Jean-Philippe Sénécal, 34 ans, est un webdesigner au chômage. Il habite Joinville-le-Pont, en banlieue parisienne.
Je sais que ce type d’agression se produit tout le temps. Un jour dans le métro, sur la ligne 9, j’ai même vu un type se faire taillader avec un cutter. C’était juste pour lui voler sa doudoune ! Mais j’ai été outré par ce clip. Car quel est leur message ? Bien sûr, Justice va créer une polémique et ça va leur faire vendre des disques. Mais la réaction des jeunes de banlieue va être de reproduire ce qu’ils voient dans "Stress". A 14-15 ans - l’âge des acteurs du clip -, tu es très influençable. Tu vois "Rocky" à la télé et le lendemain tu tapes tes copains dans la cour du collège. A un moment dans le clip, on les voit attaquer un bar. Juste avant d’entrer, l’un des casseurs déplie une matraque. C’est très visuel et c’est le genre de détail que les jeunes vont remarquer. Je parie que, dans les prochaines semaines, les ventes de ces matraques télescopiques vont décoller".
"Il est stupide de vouloir interdire ce clip"
Romain, 19 ans, étudiant au Havre, a monté un groupe sur Facebook pour défendre le clip.
J’ai été révolté par certains commentaires postés sur la page MySpace de Justice. Notamment un qui disait que leur clip était financé par le ministère de l’Immigration. Je comprends que ça puisse choquer. Moi-même, ça m’a choqué quand je l’ai vu pour la première fois. Mais tout le monde sait que ce genre de choses arrive en banlieue. Ok, le clip est stéréotypé. Mais tous les clips le sont (il n'y a qu’à voir les clips de rap, avec leurs grosses bagnoles et les filles à poil). Et je pense qu’il faut montrer ce qui se passe en banlieue. Les médias en ont parlé en 2006, lors des émeutes, mais depuis plus rien. Au Havre, on a des quartiers chauds dans la ville haute. Je n’étais pas là quand ça s’est passé, mais je sais qu’il y a déjà eu des violences au centre commercial du centre ville. Je ne crois pas que Justice cherche à caricaturer les gars de banlieue. Ils veulent juste qu’on en parle, créer une polémique. Je trouve qu’ils ont raison et il est stupide de vouloir interdire ce clip. Il faut défendre la liberté d’expression. Et puis, de toute façon, interdire le clip à la télé n’aura aucun effet. Comme beaucoup, je n’allume plus la télé car je trouve tout sur Internet. Or, sur le Net, il est impossible de censurer un clip comme celui-là".
"Des petits bourges qui ont voulu se faire un frisson"
Saïdou, 28 ans, habite dans une cité sensible des Mureaux, une ville de banlieue parisienne. Il travaillait dans une association d’aide aux personnes, il est aujourd’hui à la recherche d’un emploi.
Ils veulent en venir où avec ce clip ? C’est quoi leur message ? Parce que ce qu’on voit dans ce film, c’est encore de jeunes Africains et Maghrébins qui tapent sur des Blancs. Et s’il n’y avait pas la musique, on croirait vraiment que c’est un documentaire, que tout ça est vrai. J’écoute beaucoup de gangsta-rap américain. Et bien même dans leurs clips, on ne voit pas une violence aussi crue. On sort des flingues, pour impressionner, mais ça s’arrête là. Ce clip, honnêtement, c’est complètement abusé. C’est grossi. Des mecs de banlieue ne pourraient pas faire une virée comme ça sans se faire attraper par la police. Ils ne sont pas fous à ce point. Et puis le film va trop loin : par exemple, ces gamins ne taperaient pas une "darone" [femme adulte] sans raison. Si vous montrez ça à des gamins des cités, ils vous diront tous que ça ne se fait pas. Il y a des limites. Ce qui me fait halluciner, c’est que ce clip a été sorti par un groupe électro. Or les jeunes de cet âge, ils écoutent à 80 % du rap, pas de l’électro. Pourquoi ces deux bourges ont réalisé ce film ? Ils ont voulu se faire un petit frisson, comme ces Blancs qui viennent acheter leur dose dans les quartiers ? Ca me fait plutôt marrer. Je suis sûr qu’ils vont laisser monter le buzz et qu’ensuite ils nous expliqueront que leur projet n’est qu’artistique. Ils nous citeront plein de grandes œuvres violentes pour se justifier. Moi, je n’y croirai pas. Ils veulent autre chose. A l’arrivée, qu’est-ce que les gens vont retenir de ce film ? Ils vont se dire : "regardez ces hordes de banlieue qui déferlent sur Paris. Oulala, ça fait peur". Franchement j’aimerais bien les avoir devant moi, ceux qui ont fait ce clip, pour leur demander où ils veulent en venir".
Postée sur YouTube par s4ttler