SYRIE

L’interrogatoire ubuesque d’une blogueuse

Dossier réalisé par l’éditeur régional monde arabe, Marc Daou En Syrie, la liberté d’expression est sous haute surveillance et Internet n’échappe pas à la règle. Dernier exemple en date, le cas de Roukana Hamour, une mère de famille qui s’était présentée aux dernières élections législatives pour dénoncer la corruption et le clientélisme des autorités.Posez vos questions à et

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Dossier réalisé par l’éditeur régional monde arabe, Marc Daou

En Syrie, la liberté d’expression est sous haute surveillance et Internet n’échappe pas à la règle. Dernier exemple en date, le cas de Roukana Hamour, une mère de famille qui s’était présentée aux dernières élections législatives pour dénoncer la corruption et le clientélisme des autorités.

Roukana a été arrêtée le 25 octobre 2007 en bas de chez elle, devant ses enfants, puis interrogée par les services de sécurité syriens, notamment au sujet d’un commentaire critique du régime laissé sur son blog. Elle a été relâchée trois heures plus tard.

Elle raconte les conditions de son arrestation, qu’elle compare à un enlèvement, et son interrogatoire ubuesque par les services secrets.

Posez vos questions à Marc Daou et Roukana Hamour

Extraits de l’interrogatoire

L’interrogateur : Nous avons été très patients avec vous, mais là, vous dépassez les bornes. Connaissez-vous Ali H?

Roukana Hamour : Oui, je connais ce nom grâce à internet, comme beaucoup d’autres personnes qui laissent des commentaires sur mon blog.

I : J’aimerais que vous nous donniez l’adresse de votre blog pour qu’on puisse le visiter nous aussi?

R H : Attendez, pourquoi vous m’interrogez, alors, si vous n’avez jamais visité mon blog ?

I : J’ai des instructions, je dois faire une enquête.

R H : Donc, si je comprends bien et pour résumer, vous m’avez enlevée, j’insiste sur ce terme, pour m’interroger au sujet d’un commentaire* laissé sur mon blog par quelqu’un que je ne connais pas?

I : Oui, quelle est la nationalité de cet homme ? Est-il syrien ? On veut tout savoir sur lui.

R H : Je n’en sais rien…

I : Comment est-ce possible? Vous avez pourtant répondu à cet homme, comment pouvez-vous ne pas connaître sa nationalité ?

R H : Mais j’ai uniquement répondu à son commentaire et ma réponse n’avait rien d’insultant pour le pouvoir. Je ne l’ai jamais rencontré. Sa nationalité ne m’intéresse pas.

(…)

I : On n'a rien à redire sur le contenu de votre réponse, mais on vous reproche d’avoir répondu à son commentaire qui insulte le régime.

R H : De toute manière, vous m’auriez interrogée de la même manière si je ne lui avais pas répondu, en arguant que "qui ne dit mot, consent ".

I : Il ne fallait pas publier son commentaire. Ou alors, encore mieux, vous auriez pu lui répondre que son commentaire est une insulte envers le Dr Bachar (le président syrien), et qu’il faut au contraire aimer le Dr Bachar.

R H : Ce n’est pas mon affaire, il est responsable de ses idées, tout le monde est libre de s’exprimer comme il l’entend . En plus, le Dr Bachar a la possibilité de porter plainte s’il se sent insulté, mais ce n’est plus mon problème.

(…)

I : Et vous, quel est votre avis sur le Dr Bachar ?

R H : Ca ne vous regarde pas. Mon opinion ne regarde que moi et je suis libre d’en avoir une.

I : Votre réponse pourrait laisser croire que vous êtes une opposante au régime.

R H : Ecoutez, je ne suis ni opposante, ni une alliée du régime, je suis juste une citoyenne qui a trois enfants, qui cherche à faire respecter ses droits et qui lutte contre l’injustice.

* Le commentaire en question, laissé par Ali en avril dernier, dénonçait "la mascarade qu’est devenue le parlement syrien ".