Enquête : Haïti, dans l’enfer des gangs

"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24.
"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24. © Observateurs

Plus de 150 gangs imposent leur loi en Haïti face à un État impuissant. La plupart se trouvent dans la capitale Port-au-Prince, qu’ils contrôlent en grande partie. Massacres, balles perdues, enlèvements : les habitants sont les premières victimes de leurs violences. La rédaction des Observateurs de France 24 a mené une enquête sur leurs exactions, à retrouver dans une émission spéciale : "Haïti : dans l’enfer des gangs".

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"C’est toute ma vie qui est partie en fumée". Le 20 août dernier, Jean Simson Desanclos, un défenseur des droits de l’Homme, a perdu ses deux filles de 24 et 28 ans et sa femme. Alors qu’elles se rendaient à l’université en banlieue de Port-au-Prince, elles ont été attaquées par des membres du gang des "400 Mawozo". "Des riverains m’ont dit qu’ils ont voulu les kidnapper et qu’elles ont résisté : ils ont fait feu sur elles", rapporte-t-il.

Ce drame a suscité une vive émotion en Haïti, où les hommages aux trois femmes se sont succédé sur les réseaux sociaux. Le lendemain de leur assassinat, le Premier ministre Ariel Henry s’est également exprimé pour renouveler sa "ferme détermination à combattre sans répit l’insécurité".

Les réactions au plus haut niveau de l’État sont pourtant rares. En Haïti, les autorités sont accusées de rester passives, même lorsque les gangs commettent des massacres à grande échelle. Du 24 avril au 6 mai, dans la Plaine du Cul-de-Sac, en banlieue de Port-au-Prince, puis du 7 au 17 juillet, dans la commune de Cité-Soleil, des affrontements entre gangs ont fait des centaines de morts. Selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une organisation haïtienne, les autorités sont restées "muettes" et la police a adopté "une posture non-interventionniste".

Carte de Port-au-Prince, où apparaissent les principales zones contrôlées par les gangs, et les noms de cinq d’entre eux, parmi les plus puissants.
Carte de Port-au-Prince, où apparaissent les principales zones contrôlées par les gangs, et les noms de cinq d’entre eux, parmi les plus puissants. © Les Observateurs de France 24.

Dans les coulisses de l’émission

Cette émission a été réalisée entièrement à distance. Les journalistes Chloé Lauvergnier et Maëva Poulet de la rédaction des Observateurs de France 24 ont contacté des dizaines d’Haïtiens, vivant dans le pays et à l’étranger. Certains faisaient déjà partie du réseau des Observateurs de France 24. Parmi eux, plusieurs avaient quitté le pays pour fuir les violences. De fil en aiguille, nous avons pu recueillir des témoignages de victimes de la violence des gangs. La plupart des Haïtiens ayant accepté de s’exprimer ont cependant souhaité rester anonymes pour des raisons de sécurité : c’est pour cela que leurs voix et leurs prénoms ont été modifiés dans notre émission. 

Grâce à ces témoignages et à des images diffusées sur les réseaux sociaux – essentiellement par les gangs, mais aussi par quelques habitants et la police – nous avons pu reconstituer plusieurs évènements tragiques qui se sont déroulés en 2022. Des témoins ont également envoyé à notre rédaction leurs propres images, comme ces photos de projectiles, tirés par des armes de guerre. 

Des balles perdues retrouvées par les habitants du quartier de Solino, à Port-au-Prince.
Des balles perdues retrouvées par les habitants du quartier de Solino, à Port-au-Prince. © Photos envoyées à notre rédaction.

Pour vérifier les images de la guerre des gangs qui circulent sur les réseaux sociaux, il faut les dater et les géolocaliser. Or, les outils régulièrement utilisés par notre rédaction ont montré leurs limites. Le service de navigation virtuelle Google Street View, permettant aux journalistes d’investigation numérique de reconnaître des rues ou des bâtiments, ne couvre par exemple que très peu de points de Port-au-Prince. 

C'est grâce aux images satellitaires de Google Earth Pro, à des logiciels en ligne de partage de photos géolocalisées comme Mapillary, et en recoupant des informations avec la presse locale et le réseau des Observateurs, que plusieurs photos et vidéos ont pu être authentifiées. 

La carte des principaux gangs de Port-au-Prince, visible dans l’émission, a également été conçue grâce aux informations fournies par nos contacts sur place, et en les recoupant avec celles d'ONG, de la presse locale et de la police.  

Les journalistes des Observateurs n'ont pas sollicité de membres des gangs. Le sujet se focalise sur les premières victimes de la violence armée : les civils. Par ailleurs, nombre de chefs de ces groupes armés sont recherchés par la police haïtienne et à l’international. 

Jimmy Cherizier (également connu sous le nom de "Barbecue"), qui dirige une fédération de bandes organisées "Famille G9 et alliés", est ainsi cité par l'ONU en annexe d’un texte de résolution établissant un régime de sanctions pour Haïti. Il est indiqué que Jimmy Cherizier a "commis des actes qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité d'Haïti" et a "planifié, dirigé ou commis des actes qui constituent des atteintes graves aux droits humains". 

Sept membres de gangs inculpés 

Lundi 7 novembre, les États-Unis ont également annoncé l'inculpation de sept membres de gangs, accusés d'avoir enlevé des ressortissants américains. Le département d'État offre jusqu'à 3 millions de dollars de récompense pour toute information menant à l’arrestation de trois d’entre eux : Lanmo Sanjou et Jermaine Stephenson, membres du gang "400 Mawozo", ainsi que Vitel’homme Innocent, du gang "Kraze Barye". 

La rédaction des Observateurs de France 24 a sollicité à plusieurs reprises la Primature, le ministère de la Culture et de la Communication et la Police nationale haïtienne. Les autorités n’ont pas répondu aux demandes d’entretien. Nous publierons leurs réponses si celles-ci nous parviennent. 

Remerciements

Notre rédaction remercie tous les Haïtiens qui ont aidé à la réalisation de cette émission, notamment en partageant leurs contacts et images, et en aidant à vérifier des informations.

Crédits additionnels à l'émission : Emmanuel Belimaire / Kinouvel Media / Jordany Junior Verdieu / Dévelopage INFO / Jules Dieulivens.